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12 novembre 2021 5 12 /11 /novembre /2021 17:42

 

 

A Metz avec le Christ du chancel mérovingien, suite et fin en musique

Au plus profond des salles du musée de Metz je débute l'étude historico-technologique du fameux chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains en mettant en fond sonore du chant vieux-romain, à l’origine du grégorien. De l’une des plaques où se trouve représenté un Christ en majesté sort une voix divine :

  • Jean, mon ami, te souviens-tu de moi ? Que cette musique me fait chaud au cœur !

Je ne connaissais que trop cette voix ! Celle de Senlis, celle du Christ couronnant de Senlis ! (voir article dans le blog) Cette sculpture était donc celle d’un Christ comme on le pensait, mais bien plus sommairement sculptée que celle de Senlis.

Je n’étais pas vraiment étonné, sinon par le tutoiement ! Le dieu me vouvoyait à Senlis, il me tutoyait à Metz. Peut-être trouvait-il que nous étions désormais assez familiers l’un envers l’autre ? Ou alors estimait-il que j’avais suffisamment restauré ces dernières années de ses corps de pierre, de bois ou de plâtre ou encore d’ivoire pour que nous entamions une relation plus proche ?

J’étais très gêné et  ne savais comment lui adresser la parole….

L’appeler directement Jésus aurait été trop direct. Je ne pouvais non plus l’appeler « Mon Dieu », ou encore « Seigneur » comme beaucoup font quand ils-elles lui parlent. J’étais toujours  dans un athéisme irrémédiable. Ce n’était ni mon dieu, ni mon seigneur. Mais converser avec un dieu qui n’existe pas était quelque peu paradoxal!

Je me résolus à ne pas l’appeler, à lui répondre directement. Quant au tutoiement il était maintenant de rigueur.

  • Tu sais, depuis que les prophètes de Dijon annonçant ta venue dans le monde terrestre m’ont parlé, et surtout depuis nos conversations à Senlis, plus rien de m’étonne…

Il soupira légèrement, voyant que le phénomène divin ne m’impressionnait guère.

  • Jean, cette représentation qu’on a faite de moi sur cette plaque de chancel est un vrai problème, cela pour deux raisons. La première, tu en conviendras, est que je suis vraiment très laid, très grossièrement sculpté. Etant donnée ma condition divine, littéralement supérieure ne serait-ce que par mon séjour dans les cieux, le sculpteur aurait tout de même pu soigner un peu plus son travail. D’autant plus que par la suite les hommes ont toujours tenté de me faire très beau, bien plus que je n’étais dans la réalité. Ne dit-on pas beau comme un dieu, ou alors « Le beau Dieu » comme au trumeau du portail central de la cathédrale d’Amiens ?
  •  

La deuxième raison est encore plus pénible : cela ne fait que quelques heures que tu es dans cette pièce et m’as pour l’instant peu regardé. Approche-toi ! Tu vois bien que mon bloc est cassé de partout,

et qu’une vilaine fissure traverse mon visage. Peux-tu faire quelque chose rapidement ? Cela fait onze siècles que j’ai été brisé suite aux transformations de l’église pendant la période ottonienne (Xème siècle), et le recollage suite à la découverte de 1897 n'est pas très heureux. J’attends donc avec impatience qu’on améliore un jour les choses !  

J’aurais bien voulu satisfaire immédiatement sa demande, j’en avais les moyens techniques, mais j’avais un autre programme, même si satisfaire une demande divine n’est pas si courant !  Je lui expliquai donc en quoi les choses se font moins facilement sur terre qu’au paradis : on devait attendre la fin de mon étude technique, puis la décision par le conservateur, puis la discussion avec le conservateur conseiller-musées, puis la rédaction d’un cahier des charges pour le lancement d’un appel d’offres, puis le choix du prestataire, le débat en commission interrégionale des musées, l’acceptation budgétaire par la commune, la rédaction du bon de commande, l’envoi au restaurateur, la disponibilité de celui-ci, etc…

Je sentis sa perplexité, peu au fait qu’il était de la complexité infernale  des administrations terrestres. L’enfer n’était pas son domaine. Pour le rassurer, je précisai qu’en résumé, étant donnée la connaissance que j’avais du dossier, il n’était pas impossible qu’un jour la restauration de l’ensemble du chancel se fasse, et que le bloc contenant son image de pierre serait restauré aussi bien que les autres. Je rajoutais que, si c’était moi qui étais en charge de la restauration, je m’occuperais de son bloc en premier. Je m’avançais un peu car je n’en savais alors strictement rien.

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C’est ainsi que pendant de nombreuses journées je travaillai dans une fausse solitude : j’avais de la compagnie, et pas n’importe laquelle, qui apparemment s'adressait donc exclusivement à moi ! Le temps passait très agréablement dans cette salle du chancel du musée de Metz. Le Christ et moi chantions parfois ensemble, du Roland de Lassus ou du Poulenc, mes compositeurs préférés de musique chorale quand je chantais dans un ensemble vocal. 

Ce que j’espérais arriva : on me confia quelque temps plus tard la restauration du chancel dont les deux opérations les plus importantes furent quelques travaux structurels (dont la plaque du Christ), la dérestauration de quelques compléments modernes datant de la restauration du musée des années 1970,

, plus un nettoyage  complet des encrassements, badigeons… déposés à la surface depuis la découverte.

J’étais très heureux de pouvoir poursuivre l’étude par ces travaux de restauration : cela me permettait de continuer à faire mes observations de nature archéologique. Car je n’avais toujours pas réussi à proposer  une reconstitution.

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En saison touristique creuse et en dehors des visites de scolaires, les musées en région ne sont guère fréquentés ! Avec le Christ nous échangions peu sur les questions de foi, de religion, trop irrationnelles et spirituellement vaines à mon sens (et au sien). Nous parlions un peu plus d’Eglise, au sein de laquelle on trouve aussi bien les errements que les grandeurs de la nature humaine.

Nous évoquions aussi les questions de liturgie, mère de tous les arts religieux de par l’organisation des rites et des cérémonies, et donc de leur environnement, peint, sculpté ou musical. Car qui dit liturgie dit musique ! Il est évident que dans sa Palestine natale le Christ chantait depuis l’enfance lors des cérémonies religieuses, ainsi que tout participant (ce qu’il me confirma). Les évangiles eux-mêmes le mentionnent alors que le moment de son propre sacrifice approche et qu’il monte avec ses disciples au mont des oliviers après avoir chanté les cantiques (Marc, 14-26 ; Matthieu 26-30).

Comme beaucoup de restaurateurs-trices et depuis de longues années j’avais pris l’habitude, ou alors était-ce une nécessité, d’accompagner mon travail par de la musique enregistrée, quand je ne chantais pas moi-même.  Je ne le faisais pas avec des écouteurs, mais par haut-parleurs quand j’étais seul dans une salle de musée en cours de rénovation, une réserve, une cathédrale dont on m’avait confié la clé… ou alors dans tant d’églises ouvertes mais vides de fidèles, ou encore dans mon atelier.

J’essayais souvent de faire correspondre l’époque de l’œuvre sur laquelle je travaillais avec celle d’une œuvre musicale. C’était aussi une façon comme une autre de tromper mon ennui au cours de trop fréquentes tâches répétitives. Je choisissais parfois l’œuvre à l’année près, comme par exemple les premiers nocturnes de Chopin (op.15) pendant la restauration de l’original du Lion au serpent de Barye, réalisé en 1832 (maintenant au musée de Lyon, alors à Lisieux). Cela donnait parfois des confrontations amusantes, même incongrues… Comme travailler sur des Carpeaux tout en écoutant Wagner, tous deux très actifs durant les années 1860 ! Durant toute la première partie de ma « carrière », j’avais surtout restauré des œuvres du XIXème siècle (vraiment beaucoup…), ce qui me rendait la tâche facile, les enregistrements de musique romantique (plus largement "classique") étant innombrables. Des intégrales de sonates, de quatuors… ou consacrées au piano y passèrent, de Scarlatti à Prokofiev, en passant par ... : 

 J’aurais aimé écouté un peu plus de musique contemporaine, mais restaurer des œuvres parfois du vivant même de leur auteur me gênait.  Je fis quelques entorses, comme faire écouter aux murs du Louvre le fameux « Répons » de Boulez, cela dans les sous-sols du musée des arts décoratifs.

C’était pour restaurer un Frémiet, sculpteur de la deuxième moitié du XIXème on ne peut plus académique et donc tout à l’opposé de l’esprit de Boulez. Je répétai cette expérience de musique contemporaine dans la chapelle du musée de la Chartreuse de Douai par deux belles œuvres de jeunesse de Philippe Hurel, « Fragments de lune » et « Diamants Imaginaires… ». 

Ou encore l’extraordinaire « Territoires de l’oubli », longue pièce pour piano de Tristan Murail. C’était entre autres au musée de Lons-le-Saunier, devant les œuvres de Jean-Joseph Perraud (1819-1876), sculpteur non immortel.

Les enregistrements de musique religieuse baroque, cantates, oratorios, messes, motets,  etc….  étaient bien sûr réservés pour les églises et ceux de musique Renaissance pour le musée du même nom.

Et quand je n’arrivais pas à trouver une correspondance dans le temps, je la prenais dans le sujet même de l’œuvre, ou à partir des personnages représentés, comme par exemple l’oratorio « Le Roi David » de Honegger au Puits de Moïse à Dijon.

Plus l’œuvre était éloignée dans le temps, plus il était difficile d’accompagner mon travail par une musique de la période, ou même du siècle. Pour le Moyen Âge les hommes et femmes ne chantaient pas moins que maintenant, les musiciens étaient certainement aussi nombreux mais quels étaient précisément leur répertoire, leurs instruments, et surtout leurs interprétations ? Plus on remonte dans le temps, plus il est difficile de se faire une idée juste.

Il n’en est peut-être pas ainsi pour la musique religieuse, celle qui accompagne directement la liturgie. J’avais la chance d’avoir dans ma CDthèque l’enregistrement de la plus ancienne des musiques chrétiennes qu’on puisse écouter, à savoir le chant « vieux-romain » interprété par l’ensemble Organum.

https://organumcirma.com/produit/chant-vieux-romain/.

« (Cette) …musique est celle de l’ancien chant de l’Eglise de Rome, l’un des plus vieux répertoires dont les hommes ont gardé trace de mémoire. Jusqu’au XIIIe siècle ce répertoire accompagnait les liturgies pontificales. Il disparut avec l’installation de la papauté en Avignon, et tomba dans l’oubli. Redécouvert au début du XXe siècle, il suscita peu d’enthousiasme chez les musiciens, et ne commença à être vraiment étudié, sous l’angle liturgique puis musicologique, qu’à partir de la deuxième moitié du vingtième siècle. Pour le distinguer du chant grégorien on le nomma alors « chant vieux romain ». .

Ce chant précéda le chant messin, lui-même à l’origine du célèbre chant grégorien. Le chant vieux-romain voyageait évidemment avec les papes toujours accompagnés de leurs chantres lors de leurs nombreux périples européens, dont ceux menant à Metz, ville très importante à cette époque.

Il n’est donc pas étonnant que le Christ de pierre ait manifesté son contentement quand je mis cette musique dans la salle du musée : il l’avait déjà entendue 13 siècles auparavant dans l’église mérovingienne de Saint-Pierre-aux-Nonnains de Metz !

Ma mission se termina malheureusement sans découverte technologique majeure, qui aurait pu compléter les données des fouilles archéologiques. C'était une grosse déception mais il me fut impossible de proposer des reconstitutions même partielles du chancel, en replaçant au moins telle ou telle pierre correctement par rapport à une autre. Si des fouilles modernes ont révélé l’endroit vraisemblable de ce muret dans l’église, qui était disposé au moins en ligne droite sur toute sa largeur,  nous ignorons donc toujours sa disposition précise (sauf si de récentes découvertes ont eu lieu). (photos : Eglise de Saint-Pierre-aux-Nonnains, extérieur et intérieur : éléments du chancel en attente de nouvelle installation muséographique, photo de 2015)

 

Pour s'informer sur les chancels en général et plus particulièrement sur celui de Metz, on peut consulter une toute récente et très riche publication : Le chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains. Actes du colloque, dir. Anne Adrian, Silvana Editoriale, 2021. 288 p., 240 ill., 22 x 30 cm. ISBN : 9788836647286

 

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6 novembre 2021 6 06 /11 /novembre /2021 11:05

 

 A Metz avec le Christ du chancel mérovingien

 

Le temps passait… Je restaurais bien de temps en temps des Christ en croix, des Christs aux liens, des Christs portant la croix… mais ces Christs de souffrance ne me parlaient pas, encore moins  les Christs au tombeau. Peut-être s’adressait-il alors uniquement aux hommes et femmes  qui croyaient en lui et en leur rédemption ? Par contre je n’avais pas encore restauré, donc touché, des Christs en gloire, en majesté, pantocrator….

J’avais entamé quelque temps après la fin du chantier du portail ouest de Senlis une étude passionnante, celle du chancel mérovingien (et/ou carolingien ?) de Saint-Pierre-aux-Nonnains, au musée de Metz. (photo : disposition ancienne, et arbitraire, dans la salle du musée consacrée au chancel)

Le chancel est une clôture liturgique, muret de pierres d’environ 1 mètre de hauteur, séparant l’espace d’un lieu de culte chrétien  en deux : d’un côté et généralement dans le chœur l’espace sacré  de la célébration du sacrifice réservé en gros aux officiants, au clergé et aux chantres,  de l’autre côté celui réservé  aux fidèles, dans la nef. Ce muret est constitué alternativement de piliers et de plaques sculptés, maintenus entre eux à l'origine par un système de rainure-languette. 

Provenant de la petite église éponyme au centre de Metz, ce chancel a été découvert en 1897. Il  servait de blocage de maçonnerie dans les piliers et les murs de celle-ci et fut vite daté du très haut Moyen Âge, qui se confond d’ailleurs quelque peu avec la fin de l’Antiquité tardive. C’était en fait  un remploi, retaillé pour l’occasion : l’origine gallo-romaine des blocs ne faisait pas de  doute, surtout en raison de la présence de quelques  « trous de louve »  cavités creusées en forme de queue d’hirondelle permettant le soulèvement de blocs par le haut, grâce à la mise en place de l’outil de levage appelé « louve ».

On retrouve cet indice technologique majeur dans tout le monde romain. De plus, l’analyse de la pierre calcaire montra qu’elle provenait de la carrière antique de Norroy-lès-Pont-à-Mousson, sur les coteaux ouest de la Moselle à une trentaine de kilomètres au sud de Metz. (photo : le trou de louve est au centre). 

De gros blocs romains provenant d’une construction majeure avaient donc été débités, taillés et sculptés pour la construction de ce chancel, cela entre le 7ème et le 8ème siècle, d’après les spécialistes de la période.

La découverte archéologique était d’importance, et l’ensemble des blocs rejoignit vite le musée de Metz.

Jeune homme, je m’étais passionné pour la taille de pierre au point d’en avoir fait mon métier durant quelques années, avant de déchanter quelque peu et de m’orienter vers la sculpture, puis la restauration (voir de nombreux articles sur le sujet en amont dans ce blog). J’avais donc travaillé la pierre, étudié la stéréotomie, et enfin comme restaurateur observé l’évolution historique des techniques de taille dans de multiples circonstances, de l'Antiquité à nos jours, comme on dit. 

Je pouvais ainsi tenter de me mettre à la place du créateur des blocs du chancel. Je constatai vite qu’on était en présence d’un travail médiocre, aux yeux d’un « vrai » tailleur de pierre et/ou ornemaniste. On estime généralement que la créatition de cet ensemble date initialement de la période mérovingienne puis qu’il a été complété au cours d’une autre opération, plusieurs décennies plus tard (débordant peut-être sur la période carolingienne).

Les emprunts stylistiques pour les décors proviennent de plusieurs zones européennes, et comme les liens avec l’orfèvrerie sont établis, cela ne fait que confirmer que les modèles étaient couramment transportés.

C’est, d’un point de vue archéologique, un extraordinaire unicum.

 Mais ce n’est pas pour cela qu’il était bien taillé, même si son grand âge le rendait fort vénérable !

Après de longues heures d’observations, j’en conclus que l’opérant n’avait comme  outils de traçage qu’une règle peu rectiligne plus une équerre peu fiable,  ou que du moins il n’était pas arrivé à en suivre le tracé. La panoplie de ses outils de taille se réduisait pour l’essentiel à une ascia, suivant sa dénomination antique, et à deux ou trois petits ciseaux, qu’il maniait autant par percussion qu’à la « poussette » pour la finition. L’ascia est un outil de taille dont le tranchant perpendiculaire au manche  (comme une herminette) est de largeur variable,  il était ici de deux à trois centimètres de large. C’est donc une sorte de petite polka du tailleur de pierre que l’ouvrier multitâches tenait toujours à portée de main, car c’était un outil à tout faire.

L’assemblage des blocs n’était pas non plus soigné : on avait adopté le système rainure-languette, sans doute par imitation du travail du bois. (photos : vue de dessus et vue de côté d'un pilier). Alternativement pilier avec rainures, plaque avec languettes.

Etant donné le peu de soin donné à la taille, les rainures ne s’adaptaient que fort mal aux languettes (et réciproquement) ; tenter de faire des correspondances était difficile pour moi, car nombre de blocs n’étaient plus complets, soit par dégradation, soit par retaille lors du remploi ottonien du Xème siècle, quand le chancel  fut détruit et servit de blocage à la maçonnerie d’un nouvel édifice.

L’observation/enquête était passionnante ainsi que la tentative de reconstitution, mais découvrir que le tailleur mérovingien n’était que vaguement du métier était un peu frustrant. On peut, en résumant beaucoup, dire qu’on était au creux de la vague technologique (peut-être hors orfèvrerie) entre le savoir-faire romain et celui du renouveau médiéval qui n’allait pas tarder à se produire, à partir de la période carolingienne.

Heureusement le chancel était orné de décors ! Constitués pour l’essentiel d’entrelacs abstraits très décoratifs, on y voyait aussi quelques décors plus symboliques, tel un bel arbre de vie assez finement taillé (provenant donc sans doute de la deuxième campagne que certains placent dans la deuxième moitié du 8ème siècle ).

Sur un autre bloc un décor fait de croisillons attirait l’attention. Cette plaque pourrait symboliser une ouverture, porte ou fenêtre, sorte de claustra en bois avec quatre croisillons obliques.

On comprend vite que le tailleur/sculpteur avait travaillé sur cette pierre avec peu de méthode, et sur un tracé assez déficient.  3 croisillons n’étaient déjà pas très réguliers, presque comme s’il n’y avait pas eu de dessin initial et que le tailleur avait travaillé à main levée. Pour le quatrième, ayant sans doute commencé en haut et sans suivre aucune ligne directrice, il s’était retrouvé en bas du croisillon sans plus aucun repère. Il ne sut plus comment s’y prendre et fit littéralement n’importe quoi pour se retrouver finalement quelque part dans l’inachevé.  

Le plus intéressant dans cette mésaventure technique fut qu’on s’aperçut forcément à un moment que cela n’allait pas. Le bloc avec son décor raté fut cependant conservé tel quel et placé avec les autres. On peut donc imaginer que l’existence même et la fonction de cette plaque au sein du chancel étaient si importantes qu’on ne la mit pas au rebut pour en faire une autre. Ou alors manquait-on tout simplement de matériau qui aurait permis le remplacement ? Il est exceptionnel dans l’histoire des objets qu’on conserve et utilise un tel « raté ».

On voyait aussi sur la face d’un autre bloc une représentation humaine grossièrement représentée, qui levait la main droite dans un signe de bénédiction.  

C’était le premier jour de mon étude. Seul dans la salle, j’avais mis en fond sonore de la musique et l’ineffable sentiment de plénitude qu’elle procure, à travers des chants anciens de l’église de Rome, antérieurs même au chant grégorien et donc au moins aussi anciens que l’époque de notre chancel. On appelle parfois ce chant « vieux-romain ». A peine avais-je fini de déposer mon matériel dans un coin qu’une voix familière me héla venant du bloc à la représentation humaine, voix qui avait un je ne sais quoi d’humain et un presque rien d’autorité divine :

  • Jean, mon ami, te souviens-tu de moi ? Que cette musique me fait chaud au cœur !

Je ne connaissais que trop cette voix ! Celle de Senlis, celle du Christ couronnant de Senlis !!! C’était la confirmation de ce que la plupart des historiens de l’art pensaient, à savoir qu’on était bien en présence de la représentation sculptée d’un Christ bénissant. « Sculptée » est d’ailleurs un terme un peu exagéré et le qualificatif « gravée » serait presque préférable dans la mesure où la forme, très frustre par ailleurs,  se réduit en un bas-relief de deux centimètres de profondeur maximum.

Je n’étais pas vraiment étonné, sinon par le tutoiement ! Le dieu me vouvoyait à Senlis, il me tutoyait à Metz. Peut-être trouvait-il que nous étions désormais assez familiers l’un envers l’autre ? Ou alors estimait-il que j’avais suffisamment restauré ces dernières années de ses corps de pierre, de bois ou de plâtre ou encore d’ivoire pour que nous entamions une relation plus proche ?

J’étais très gêné et  ne savais comment lui répondre…. 

à suivre

 

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27 octobre 2021 3 27 /10 /octobre /2021 10:17

 

Les plus assidus des lecteurs de ce blog se souviennent peut-être de l’un de mes souvenirs, celui où quelques magnifiques prophètes statufiés depuis plus de 6 siècles  se mirent soudainement à m’adresser la parole. Cela m’était arrivé en 2003, à la fin de la restauration du fameux Puits de Moïse, restauration dont l’histoire est partiellement décrite en amont dans le blog. Il est vrai que je me trouvais au centre d’un grand établissement psychiatrique avec unités « ouvertes », l’hôpital de la Chartreuse à Dijon, et que croiser journellement quelques malades par ci par là avait pu altérer mes propres facultés mentales, même s’il reste à prouver que les maladies de l’esprit se propagent librement à travers l’éther qui nous environne tous.

Mais tout allait bien par ailleurs. Après quelques péripéties en son début la restauration du Puits de Moïse se déroulait normalement. Je voyais bien qu’aux yeux de la société je paraissais sain d’esprit. J’avais donc pris avec grande philosophie cette manifestation de prise de parole par des ymages à proprement parler extraordinaire. J’étais d’ailleurs bien trop occupé par mon activité professionnelle pour me poser plus de questions que cela, sans parler de mes douces occupations familiales.  

Je n’entendis plus de « voix » dans la période qui suivit, sinon que, ayant à travailler deux ans plus tard sur la problématique de la mise en couleurs ancienne des moulages du musée des Monuments français j’entendais parfois de bizarres chuchotements en traversant, souvent seul, les immenses espaces qu’on connait à Chaillot, lieux remplis à saturation par de la statuaire en plâtre de cathédrales, d’abbayes ou encore de basiliques. C'était pendant la rénovation du musée. Ici, en photo, le moulage partiellement polychromé de l'extraordinaire pilier des anges de la cathédrale de Strasbourg, en cours de remontage et dont je parlerai plus tard. 

Senlis 2007

Le courageux lecteur se souvient peut-être aussi de mes deux derniers envois, ceux où je décris les péripéties de la restauration du portail ouest de la cathédrale de Senlis. Qu’il me pardonne, je n’ai alors pas tout dit !  Je savais bien qu’on ne m’aurait pas cru, qu’on aurait pris mon témoignage pour du délire.

C’était à la toute fin du chantier. Le nettoyage était terminé, la retouche était en cours de finition, je me rendais souvent seul sur l’échafaudage pour la fin de la documentation, les prises de vues photographiques manquantes… J’étais au niveau du tympan, non loin de la Vierge et du Christ quand j’entendis une voix d’homme, plutôt douce et au timbre légèrement barytonnant sortir de la pierre, au niveau du visage du dieu couronnant sa mère :

  • Jean, mon ami, excusez-moi de vous déranger dans votre travail ! Mais nous nous posons beaucoup de questions, ma mère et moi, sur ce que vous avez fait avec vos collègues sur nos corps de pierre et de couleurs, depuis presque un an que vous êtes là.  Nos enveloppes matérielles créées en 1169 ont déjà vécu quelques événements, comme la remise en couleur de 1242 ou le moulage de la fin du XIXème siècle, entre autres. Je suis ici votre décompte d’années depuis la naissance de mon corps de chair, qui, soit dit en passant, est de 6 ans plus précoce que l’officiel, s’accordant en cela avec la plupart de  vos historiens et exégètes.

Depuis le début de votre travail nous nous sentons ma mère et moi plus « légers », plus propres, bref, plus présentables. Oui, qu’avez-vous donc fait ? Nous ne voyons rien de ce que vous faites sur nous, nos regards sont figés. Nous sentons par contre notre épiderme légèrement chatouillé par vos outils et vos produits.

De plus, ma douce mère bigle affreusement depuis que vous avez décidé de garder le surpeint et l’original juxtaposés.

Quant à moi, je suis aussi atteint d’un léger strabisme, n’est-ce pas ?

Qu’un dieu parlât ainsi à un être humain était déjà assez étonnant, même si on disait parfois que c’était déjà arrivé à Moïse, Mahomet et bien d’autres. Qu’il me vouvoyât l’était plus encore ! Enfin, qu’il se souciât de son apparence terrestre et lapidaire dépassait tout entendement.

Avant de répondre précisément à sa question, je l’interrogeai d’abord sur son vouvoiement. Il me précisa qu’il ne me connaissait pas assez pour me tutoyer d’emblée (je n’ai jamais été croyant et nous n’avions donc jamais échangé) et qu’avec mes cheveux blancs il pensait qu’il me devait le respect. Effectivement j’étais tout de même de plus de 20 ans son aîné de chair ! Ce n'était pas pour cela qu'il ignorait mes limites humaines... 

Ce point étant éclairci je n’eus pas le choix et lui parlai du travail de l’équipe de restauratrices-teurs. Il était fort intéressé par la technique et plus à l’aise dans ce domaine que quelques universitaires, sans doute grâce à ses années de jeunesse passées dans l’atelier de son père. Il sourcilla tout de même un peu quand j’abordai le chapitre méthodologie et déontologie. Il comprit que, suivant les critères actuels, sa pauvre mère et lui-même continueraient à bigler. La Vierge-mère restait d’ailleurs muette conformément à la religion chrétienne, à tendance fortement patriarcale pour le moins. Cela ne l'empêchait pas d'être toute ouïe, j'en étais sûr. Pour les rassurer, je leur appris (car un dieu ne sait pas tout contrairement à ce qu’on croit trop souvent) que le goût, c’est-à-dire la faculté de juger le beau, et les valeurs morales que les hommes avaient créés étaient très fluctuants. Un jour peut-être supprimerait-on le surpeint qui donnait à sa mère  ce regard bien étrange ? Il fallait simplement attendre la durée de quelques générations humaines, que les critères esthétiques et scientifiques aient évolué. Une broutille face à la durée d’une génération divine dont on sait qu’elle dure en moyenne  quelques milliers d’années tout au plus. Il savait tout cela. Depuis sa création un dieu avait généralement beaucoup plus de temps devant lui que les hommes.

Il soupira légèrement et me répondit qu’ils attendraient donc l’inéluctable changement dû au balancier du temps.

Nos échanges durèrent ainsi quelques jours. Je souhaitais qu’ils prennent rapidement fin, car le dernier comité scientifique approchait, et je ne voulais pas que sa voix chantante retentît en plein milieu de palabres plus ou moins nécessaires entre les sommités conviées pour la réception du chantier.

Si quelques membres du comité du 15 mai 2007 me lisent, ils se souviennent peut-être d’une certaine fébrilité de ma part lors de la dernière réunion sur l’échafaudage… On pouvait penser que c’était en raison de l’imminence du règlement du conflit doctrinal que j'avais avec le très sérieux architecte en chef, Etienne Poncelet (au centre sur la photo ;  voir mes envois précédents sur le blog). Je ne savais pas encore que l’issue me serait favorable. Mais si j’étais inquiet, c’était aussi pour la crainte que j’avais que Jésus ne m’interroge à  voix haute devant tout le monde pour me demander les raisons de ce remue-ménage sur l’échafaudage !

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9 juillet 2021 5 09 /07 /juillet /2021 13:39

Exposition à Fort Jacquet 14-18 juillet 2021 - Jean Delivré

Grands  et moyens formats

 

Incitation à la  caresse (0) marbre de Carrare

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Numéro 1 (1) contreplaqué, lames de verre et de miroir, acrylique

Première œuvre.

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Jacquet à Fort Jacquet  (22) verre et miroir sur panneau médium, acrylique en couche et en fil

Graphisme proche de celui utilisé dans le jeu du jacquet, variante du trictrac ou encore du backgammon.

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Voussures de Senlis (36) plaques de verre, acrylique en couche et en fil.

Chromatisme de la polychromie originale des voussures du tympan du portail ouest de la cathédrale de Senlis.

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Monochrome noir (41) panneau médium, petits carreaux de verre, acrylique en couche et en fil

Quand on est en panne d’inspiration, faire un monochrome tout noir, ça soulage !

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Rectangles décalés (44) sur panneau médium, petits carreaux de verre, acrylique en couche et en fil, feuilles d’or, d’argent, de cuivre

Tableau dont l’aplomb est incertain.

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Le nombre d’or en noir, bleu, or et argent (45) miroir, verre, petits carreaux de verre, acrylique en couche et en fil, pigments projetés, or, argent (feuille)

La proportion des dimensions de ce tableau est proche de celle de la « divine proportion », dont le calcul donne le nombre d’or, limite finie de la fameuse suite de Fibonacci. Chaque élément de cette suite est la somme des deux éléments qui le précèdent, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21… . Le rapport de 13/8 du tableau se trouve dans la progression des rapports 1/1, 2/1, 3/2, 5/3, 8/5, 13/8, 21/13, 34/21 …. …. Jusqu’au nombre d’or Φ =  1,618…

La fine courbe rouge, géométriquement parfaite, est la spirale approximative (par arcs de cercles) qui correspond à cette progression, mais dessinée à l’envers avec des rebroussements tous les 90°. Photo : en fin de travail, avant la projection de pigment bleu.

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Hommage à l’âne de Buridan (47)  sur toile, petits carreaux de verre, acrylique 

Choisir c’est renoncer. Des tas de oui et de non sens dessus-dessous.

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Une nuit (48) petits carreaux de verre, peinture acrylique en couche et en fil  or (feuille)

Jeu sur des scintillements blancs et dorés dans l’obscurité

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Rideau (50,5) lames de verre et de miroir, lamelles de verre, peinture acrylique (fond), huile en glacis

Jeu de surfaces réglées, de  lignes et de couleurs

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Plage et vagues (55)  Lames et lamelles de verre, peinture à l’huile en glacis

Jeu d’ondulations parallèles et perpendiculaires au fond, avec surfaces réglées rejoignant les ondes. Œuvre particulièrement cinétique, changeant radicalement d’aspect lors du déplacement latéral du visiteur (ondes bleues, fond jaune)

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Incitation à la petite caresse (57) marbre de Carrare

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Face à la mort (64) lames de verre et de miroirs, lamelles de verre, acrylique et peinture à l’huile en glacis

D’après le dernier autoportrait de Picasso réalisé à 91 ans, représentant son visage de vieillard proche de la mort. Contraste absolu entre le regard avide de vie du peintre et la forme de visage d’un mourant.

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Ouverture en or et vert (67) sur panneau, petits carreaux et lamelles de verre, or (feuille), huile en glacis

Travail de superposition qu'on retrouve aussi ailleurs, avec la feuille d'or libre et détachée de quelques millimètres du fond, sur laquelle on a posé les fines lamelles de verre, peintes par la suite. 

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Tableau à l’œuf d’or (68)  lamelles de verre, acrylique, or (feuille), œuf de poule (vidé)

Superpositions et évolutions. Recherche d'harmonie entre l'or et les couleurs

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Saurien cerné par des queues (73) peinture acrylique, figurine jouet

Simple jeu de sinuosités colorées avec au centre une figurine de jeu pour enfant.

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Coalbrookdale (74) panneau alvéolé aluminium, billes et lamelles de verre, acrylique sur le fond, huile en glacis sur les lamelles.

Libre interprétation du tableau de Loutherbourg (1740-1812)  « Coalbrookdale, de nuit », 1801, Musée des Beaux-Arts de Strasbourg

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Constellation (75) panneau alvéolé aluminium, billes de verre, acrylique

Distribution aléatoire de corps célestes.

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A la manière de Sonia et Robert (76) sur panneau alvéolé aluminium, lamelles de verre, acrylique en couche et en fil, or à la feuille

À partir des formes créées par Robert et Sonia Delaunay au premier plan sur la photo

 

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Liberté en bleu (84) lamelles de verre, acrylique

Œuvre créée suite à la découverte que je fis de la cantate de Francis Poulenc sur le fameux poème « Liberté » d’Éluard, interprétée dans le chœur de chambre où je chantais alors. Sur ce tableau j’ai écrit ton nom, Liberté. Photo de détail

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Nues en or (88) sur panneau, acrylique, or (feuille)

A partir des nus féminins couchés les plus célèbres de l’histoire de la peinture occidentale : Cranach, Titien, Velasquez, Ingres, Manet, Vallotton, …. et l'hermaphrodite (sculpture), Photos : œuvre en cours, avant et après la pose de la feuille d'or sur une partie des nus. 

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Références (90)  cartels d’œuvres sculptées d’art ancien collés au fond, acrylique,

Œuvre réalisée à partir de cartels relatifs à des sculptures anciennes que j’ai restaurées durant mon activité professionnelle de restaurateur. Ces cartels étaient destinés à être jetés en raison de la rénovation de la muséographie du lieu. Récupérés in extremis, ils font désormais partie intégrante de la couche picturale de cette œuvre.

La Charité de Dominique Florentin , calcaire polychromé, vers 1550, église Saint-Pantaléon, Troyes

La Synagogue, grès avec traces de polychromie, vers 1220,  cathédrale de Strasbourg

Christ gisant, de Claus de Werve, calcaire polychromé, vers 1430, cathédrale de Langres

Thamar, calcaire polychromé, vers 1160, portail de la cathédrale de Senlis et moulage au musée des Monuments français.

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Wifi en or sur fond noir (95) sur toile, petits carreaux de verre, acrylique, or (feuille)

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Wifi en or sur fond vert (96) sur toile, petits carreaux de verre, acrylique, or (feuille)

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Lemniscate (98)  sur toile, petits carreaux de verre, acrylique en fil ou non, or (feuille)

A partir de la courbe mathématique, mais aussi symbole de l’infini, du mariage, etc…

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Poiseaux-oissons (100) ou encore poisons-oisseaux. lamelles de verre, acrylique, pigments projetés.

D’après le célèbre dessin de Max Escher où des poissons se muent en oiseaux (ou inversement), ici mis en couleurs, plus tard en profondeur. Le sous-marin jaune des Beatles et l’avion de combat Rafale sont pures fantaisies de ma part. Photos : œuvre en cours, avant pose des lamelles de verre et de la couche picturale supérieure, puis photo de  l'œuvre finie dans l'exposition.

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Superpositions 3 (101)  lamelles de verre sur perles de verre, peinture acrylique, pigments projetés

Jeu de lignes et de couleurs entre la couche inférieure et la couche supérieures, séparées de quelques millimètres.

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Égalité en bleu et jaune (102) sur panneau alvéolé aluminium, lamelles de verre sur perles de verre, peinture acrylique

Créé après « Liberté en bleu » histoire de compléter la devise républicaine.

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Fraternité en rouge (103)  sur panneau alvéolé aluminium, lamelles de verre sur perles de verre, peinture acrylique

Créé après « Liberté en bleu » et « Egalité en bleu et jaune », histoire de compléter la devise républicaine.

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Galaxie (104). Sur toile, perles de verres, peinture acrylique

Vue de côté de la nébuleuse planétaire NGC 2452 (qu'on voit habituellement de face)

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Une généalogie (106) lamelles de verre, peinture acrylique

Tableau réalisé à partir du vitrail de l’église de Rigny-le-Ferron (Aube) où se trouve représenté un arbre de Jessé (représentation généalogique de l’ascendance de Jésus, d’après le début de l’Évangile selon saint Matthieu). Mais ici les prénoms sont ceux de mes descendants et ascendants, trouvés grâce aux travaux généalogiques de mon père. Les lieux sont ceux où mes ancêtres et les membres de ma famille ont vécu ou vivent actuellement. à gauche sur la photo

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Grecques (107) sur panneau, perles de verre, peinture acrylique

Jeu de couleurs sur perles de verre dessinant les lettres de l’alphabet grec ancien

 

Petits formats

Donzy (53) lamelles de verre sur acrylique, huile en glacis

Partie basse de la Vierge à l’Enfant du tympan de l’abbatiale de Donzy (Nièvre)

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Solitude des couleurs du fond (59) lamelles de verre sur acrylique, huile pour le graphisme

Rupture de la solitude des couleurs du fond par un graphisme sus-jacent débridé

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Crépuscule (94) perles de verre, acrylique

Souvenir d’un soir en Champagne

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Petits livres jaunes (80)

Amusement

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Allée (82)

Amusement

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Aquarelles (et lavis)

 

Tournicotis rouge (A1) Peinture automatique, sans dessein préalable.

Roseaux (A2) Pour le geste

Carrelage déformé rouge et bleu (A3) Jeu d’harmonies

Portées colorées (A4) Peinture automatique, sans dessein préalable

Pyramide humaine en rouge, vert et jaune (A5) Tiré d’une gravure de Juste de Juste (1505-1559).

Courbes et contre-courbes (A6) Peinture automatique, sans dessein préalable

Portées obliques (A7) Peinture automatique, sans dessein préalable

A la manière de Kandinsky (A8) Hommage au grand peintre

Double perspective (A9)  - Une utopie

Eglise de Bérulle en Toscane (A10) Une utopie

Paysage romantique à la Victor Hugo (A11)  Tiré d’un lavis du célèbre écrivain

La forêt la nuit (A12) Tiré d’un documentaire animalier

Disques bleus et rouges (A13) Jeu de dégradés

Dégradés rouge et noir (A14) Jeu de dégradés

Dégradés multicolores (A15) Jeu de dégradés

Vue sur le  Big Bang (A16) peinture automatique, sans dessein préalable

 

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6 décembre 2020 7 06 /12 /décembre /2020 17:31

Senlis 2006/2007 (2) Restaurateur au portail ouest de la cathédrale.

Résumé : après quelques péripéties qui auront duré 3 ans (voir article précédent) , le chantier de restauration du portail ouest a pu enfin commencer au début de l'été 2006. Les différentes opérations de restauration se font jusqu'au milieu de l'automne, pour reprendre au printemps 2007 Nous en sommes maintenant à la fin du nettoyage avec la révélation de la polychromie médiévale. 

 

 

La robe rouge de Tamar et le regard de Marie

 

Je ressentis encore plus ce plaisir...  ... lorsque j’eus à m’occuper de Tamar. Il fallait s’assurer en premier lieu du bien-fondé des observations de la récente étude de polychromie, qui concluait à une robe de couleur noire.

Une chose me rendait perplexe, c’était l’aspect de ce noir, en plus de sa signification. Il possédait un je ne sais quoi de différent d'une couche noire ancienne, à la fois mat et profond, presque charbonneux tout en étant d'aspect différent de la couche de pollution où les suies tiennent une grande part. D’autre part habiller de noir une femme telle que Tamar était suspect et symboliquement incompréhensible (pour l'histoire de Tamar voir l'article précédent).

Une observation à fort grossissement à la loupe binoculaire avec sondage au scalpel me fit apparaitre de minuscules points rouges, couleur vermillon, et donc restes du pigment d’origine ce qui fut confirmé par l’analyse du LRMH.

Nous avions en effet sous la couche de crasse des restes de cinabre (sulfure de mercure naturel dont la forme artificielle s’appelle vermillon) qui s’altère petit à petit en présence de lumière (ici irradiation solaire) et se transforme en métacinabre, de couleur noire. Il n'y  a pas de modification chimique, mais simplement minéralogique. Cette transformation est un lieu commun pour un restaurateur d’œuvres antiques ou médiévales, en sculptures polychromées ou peintures murales.

La robe de Tamar était donc rouge,  et constellée de grosses pastilles à fleurs de lys d’or sur fond bleu outremer. Les fleurs de lys sont ici mieux conservées que l'outremer, très lacunaire (et peu visible sur la photographie). Tout en étant rare, le bleu outremer naturel, le plus souvent tiré du lapis-lazuli des mines d'Afghanistan, était  moins cher et plus employé au milieu du XIIème siècle qu'à la fin du Moyen Age, en raison des facilités commerciales avec le Levant (et le royaume de Jérusalem).

Tout cela à une dizaine de mètres de hauteur. Le rouge de la robe, sans doute en rapport avec le sang menstruel symbolisant la fécondité, était évidemment bien plus conforme avec le personnage biblique que le noir. La Bible nous dit clairement en effet que c’est le subterfuge de Tamar face à l’intransigeance de Juda qui permit à la lignée aboutissant à Jésus de se poursuivre, d’où l'importance de la personne et de sa représentation. 

Il faut donc imaginer qu’au sein du portail (en haut un peu à gauche) cette petite tache rouge se distinguait immédiatement des autres personnages  des voussures, rois et prophètes, qui sont à dominante blanc et or. Le fond des voussures était à dominante verte (feuillages de l’arbre de Jessé) et ocre rouge (pour le reste du fond). Le fond du tympan était bleu outremer, les statues du Christ et de la Vierge, à dominante blanche liserée d'or se détachaient parfaitement. Les carnations soigneusement réalisées pour tous les personnages renforçaient évidemment le réalisme. Voilà ce que pouvait être le chromatisme général du portail de Senlis. 

Le spectateur du XIIème siècle, lui, n’avait pas besoin d’imaginer. Contrairement à nous il ne voyait pas des restes de couleurs, souvent lacunaires et altérées. Il voyait un tableau en trois dimensions où les couleurs vives et l'or aidaient fortement à la compréhension des formes. Il voyait aussi tout là-haut cette petite femme sculptée se distinguer par sa couleur, et s’interrogeait évidemment sur son identification et son histoire. S’il n’avait pas la réponse et ne savait pas lire le nom en majuscules qui se trouvait sous elle (voir ci-dessous), nul doute qu’on devait vite lui apprendre.

Cet émerveillement que je vivais lors de ce nettoyage, chacune de mes collègues le vivait autant de son côté lors de la révélation des dizaines de sculptures du portail, avec parfois des situations étranges, comme pour le regard de Marie. Le nettoyage mis parfaitement au jour la mise en couleur de ses yeux, mais avec un surpeint qui ne « couvrait » plus très bien l’original. Ce qui donne à Marie un regard étrange, car les deux yeux gauche  ne se superposent pas tout à fait, alors que les deux yeux droit, oui ! On peut voir aussi sur la photo les deux sourcils gauche superposés. Il n’était pas question de supprimer ce surpeint, sans doute médiéval lui aussi, d’autant plus que la fragilité de la matière aurait inévitablement entraîné des dommages pour l’original.

Comment tu t’appelles ?

On entend dire parfois  que les portails et autres sculptures (ou peintures murales) sur édifice médiéval (intérieur ou extérieur) étaient faits pour raconter des histoires religieuses à des gens du peuple qui ne savaient pas lire. C’est possible,  mais on va voir qu’il était préférable de savoir lire un peu à Senlis, au moins les majuscules, car ce portail ouest était parsemé de noms et de mots peints.  Ainsi, sur le bandeau d’une douzaine de centimètres séparant les cordons des voussures entre eux étaient peints les noms des personnages situés juste au-dessus. Sur les 44 personnages des voussures on a ainsi vu des traces de lettres pour 22 d’entre eux ! Quatre inscriptions furent déchiffrées (vérifiées avec l’aide de la liste des noms dans l’évangile !) : Roboam (voir photo), Josaphat, Ioram, Abiam. Une le fut sans certitude : Josia.

Pour six autres voussoirs, on a des traces de lettres, mais trop lacunaires pour identifier un nom. D'un autre côté, l'iconographie et les attributs permettent quand même d'en identifier quelques uns, comme Abraham, qui  accueille ici les justes dans son "sein". Les justes sont dans le judaïsme ancien les âmes en attente d'aller au paradis après la mort et ceci jusqu'à la résurrectionun peu comme les limbes chrétiennes l'étaient pour les nouveau-nés non baptisés. 

Enfin on a constaté des restes de lettres pour onze  autres voussoirs, en  quantité très limitée, millimétrique.  Pour les 22 restants nous n’avons donc  rien vu.

Il est vraisemblable aussi que chaque phylactère porté par les petits prophètes des voussoirs ainsi que par les grandes statues-colonnes des ébrasements était peint avec des inscriptions. Cela permettait encore plus l’identification du personnage représenté, peut-être y avait-il aussi des citations bibliques. Au tympan se trouvent des lettres sur le livre que porte Marie, avec un curieux mélange de restes d’original et du surpeint.

Malgré les efforts de l’un des meilleurs paléographes sollicité pour l’occasion, il ne fut pas possible de déchiffrer l’inscription sur le livre.

Enfin, au-dessus de Marie et du Christ, pouvaient se voir sur le fond du tympan de très fines marques de fantômes de lettres (en arc de cercle).

Bref, le portail était recouvert d’une multitude de mots, de noms…

Retouche oui, sculpture neuve non

Début mai 2007 les opérations principales de restauration étaient faites, le nettoyage était terminé. Arriva le moment de la retouche, qui consista dans une très légère mise au ton environnant des petites lacunes localisées, petites taches claires de pierre nettoyée au milieu des plages de couleur révélée (et non sur de grandes surfaces nues ). En quantité de surface reprise, cela concernait tout au plus quelques millièmes de la surface totale…

Cette retouche fut faite par léger glacis d’aquarelle et/ou au pigment au liant acrylique très dilué, sans danger pour la pérennité de l’œuvre.

Il restait enfin à réaliser quelques « sculptures neuves » : des feuillages entourant les niches de voussoirs plus un voussoir entier, tel que demandé dans le cahier des charges. Notre équipe était opposée à leur réalisation et je m’employai à ce que cette partie soit annulée ou au moins minorée, en temporisant un maximum. 

D’un point de vue formel, les choses se présentaient différemment de celles du temps de Viollet-le-Duc, où l’architecte pouvait imposer la forme par son dessin. A Senlis en 2007, c’était le restaurateur qui devait présenter le projet pendant les travaux. De semaine en semaine, à chaque réunion de chantier, durant le printemps 2007, l’architecte me pressait de fournir ces projets de dessin de sculpture neuve, mais je refusais, arguant que la recherche était en cours. En fait, j’avais fait les dessins de l’existant similaire, étais allé consulter quelques membres du conseil scientifique (dont l’inspectrice générale des MH Colette di Matteo qui m’a longuement reçu) en posant clairement la problématique : A côté de cet existant, pouvait-on encore créer du soi-disant médiéval alors que nous n’étions pas dans le simple domaine décoratif et répétitif, mais au contraire dans l'inventif ? (ici par exemple les dessins au trait montrant la variété des feuillages entourant les niches VS 1-4, VS 2-4, VS 1-3, VS 2-3, VS 1-2, VS 2-2. - V pour voussoir, S pour sud, 1 pour premier cordon, 4 pour quatrième voussoir en partant du bas, etc...)  

Quelle forme pourrait-on adopter, à partir de quelle justification ? Je connaissais évidemment la réponse, car de telles inventions ne sont plus de mise de nos jours. De plus, visuellement, cela n’aurait en rien amélioré la lecture du portail.

Ces échanges me firent comprendre que le comité scientifique serait du  côté des restaurateur-trices. Finalement, lors d’une des dernières réunions de chantier avec le comité il fut clairement et très fermement dit (surtout par J.-R. Gaborit, alors chef du département des sculptures du Louvre) à l’architecte que, s’il voulait de gros ennuis avec le milieu de l’histoire de l’art (et la presse), il n’avait qu’à poursuivre son idée. La Maitrise d’ouvrage (DRAC Picardie), dernier décideur, se rangea à l’avis du comité et ce projet de « sculpture neuve » fut abandonné.

C'est ainsi que les choses se font, ou ne se font pas. 

L’architecte accepta cette décision de bonne grâce, et ne m’en voulut pas. Les rapports humains avec lui ont toujours été courtois.

On peut voir dans ce chantier deux réussites. Celle de la restauration ayant permis la révélation du portail, mais aussi celle de l’équipe de restauratrices-teur qui sut tout au long du chantier observer le meilleur état d’esprit d’échange et de collaboration, avec une qualité de travail optimale.

Ici Sabine Kessler et Amélie Méthivier qui, avec Julie André, sont à l'origine de cette belle aventure. Ce fut  par un très joyeux repas à la maison  qu’on célébra la fin du chantier !

Et après ?

Un an après la fin des travaux une doctorante en histoire de l’art projetait et avait déjà partiellement organisé un colloque autour du portail et de sa restauration, ce qui aurait pu donner lieu entre autres à la diffusion des principales photographies de détail des sculptures ainsi que de toutes les phases du chantier (près de 4000 photos sont conservées à la médiathèque de l’architecture et du patrimoine). De grosses tracasseries administratives l’en empêchèrent…

A la fin du chantier, tout le monde et particulièrement le comité scientifique estimait indispensable de protéger le portail restauré de ses deux sources principales d’altération : les intempéries et la pollution automobile. Reconstruire un auvent et  dégager la place du parking et de la circulation étaient indispensables.

Grâce à des fouilles au pied de la façade, on avait appris qu’une construction ancienne avait bien été réalisée à cet endroit, avait duré quatre siècles  mais sa fonction n'avait pas pu être précisée. Était-ce un simple porche de protection ? Avait-il une fonction liturgique ? En attendant toute décision définitive, la maitrise d’ouvrage commanda à l’architecte la réalisation d’un auvent provisoire, pour une durée de vie de trois ans, qui mit la sculpture peinte à l’abri des intempéries momentanément. Il était encore là dix-sept ans après, début 2020, complètement délabré et ne remplissant plus sa fonction depuis plusieurs années. Il fut finalement démonté il y a quelques mois.

Quant au parking sur le parvis de la cathédrale, entre l'office de tourisme et le monument, il est toujours là avec ses voitures. C'est peut-être le seul et dernier parvis de cathédrale française à faire encore office de parking, polluant chimiquement et visuellement le portail restauré. 

 

Remerciements : Une telle restauration est une œuvre collective, autant par l’argent du contribuable que par le travail des multiples intervenants politiques, administratifs (qui n'ont pas toujours la tâche facile), scientifiques, et surtout celui des restaurateur-trices. Le comité scientifique aussi a parfaitement joué son rôle.

Ils ont tous leur part dans cette réussite. C’est ce que je dis à Alain Erlande-Brandenbourg alors que, par le regard et par les mots, il me félicitait chaudement lors de l’inauguration organisée par la ville de Senlis. Il était curieusement ému, lui qui vingt ans auparavant s'était penché sur mon berceau de jeune restaurateur. 

On me pardonnera d’en rajouter si je me fais le porte-parole des créateurs du portail, sculpteurs et peintres du milieu du XIIème siècle, mais je les ai tellement côtoyés en imagination, au milieu de leurs créations ! Nous nous sommes beaucoup parlé durant les nombreuses heures où je travaillais seul sur l’échafaudage, à photographier et compléter la documentation.

Ils m’avaient alors fait la demande de remercier chaleureusement mes collègues qui avaient longuement œuvré pour la remise en valeur de leur travail. Je le fais donc à nouveau, d’abord envers celles et ceux du « Collectif portail de Senlis »  de 2003 (voir article précédent) sans qui nous n’aurions jamais vécu cette belle aventure, ensuite pour  mes camarades de chantier avec qui j’ai eu la chance de travailler en exerçant le plus beau métier du monde : celui qui permet de s'approcher au plus près de la beauté, de la révéler tout en la respectant et de partager ses rêves  avec les  futurs spectateurs.  

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5 décembre 2020 6 05 /12 /décembre /2020 19:30

 

Senlis 2006/2007  Restaurateur au portail ouest de la cathédrale ou le plus beau métier du monde.

A 54 ans, j’étais professionnellement comblé. Comme de nombreux restaurateurs de cette génération bénie j’avais vécu quantité d’expériences passionnantes et n’étais aucunement blasé de mon activité. Durant plus de trente ans je m’étais sans cesse déplacé dans le temps et dans l’espace, aux quatre, cinq et même six coins de l’hexagone, parfois plus loin, dans mille lieux insolites ou ordinaires.   Les merveilles sur lesquelles j’avais travaillé s’étaient succédées sans interruption dans un curieux parcours d’étapes sans lien entre elles, sinon celui de l’entretien et de la valorisation des beautés du patrimoine. Cela allait-il se poursuivre ? 

Note préliminaire : si je suis l'auteur des photos insérées dans ce texte, sauf celle du prélèvement LRMH, je ne suis pas le seul et loin de là à avoir restauré les sculptures présentées (avant et après restauration), et pour cause, puisque nous avons été onze restaurateur-trices à avoir travaillé sur ce chantier   

Début 2006 mon carnet de commandes était encore assez bien garni, même si la mise en concurrence devenait de plus en plus systématique et faisait que je commençais à perdre des marchés que j’aurais bien aimé gagner. Mais c’était dans l’ordre des choses car la jeunesse, derrière, poussait.  

Je n’étais pas encore trop las de cette recherche permanente de travail liée à mon statut de travailleur indépendant. 

Je sortais d’une intéressante étude portant sur la collection des moulages en plâtre du Musée des Monuments Français (MMF), moulages réalisés surtout entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème, à partir de sculptures essentiellement médiévales. Le questionnement de cette étude était celui de leur état de surface colorée, précisément de leur mise en couleur en fonction de l’aspect coloré de l’original (ou des restes de couleur/polychromie encore visibles). Je retrouvais et étudiais ainsi à Paris les formes moulées du Puits de Moïse de Dijon, de la Vierge Bulliot d'Autun, de la statuaire de la cathédrale de Strasbourg (ici la Synagogue)...

 

et profitais ainsi de mon expérience passée. A comparer moulages anciens et originaux je pus constater que la mémoire « sensible », celle de la longue observation d’œuvres uniques, était indispensable et complémentaire de la seule mémoire documentaire.  On se souvient facilement des choses uniques quand on les a longuement côtoyées, et comme restaurateur j’avais eu cette chance.

 

Senlis, première approche.

Il y avait aussi au MMF quelques moulages plus anciens provenant d’un monument que je connaissais depuis peu, c’était la  cathédrale de Senlis et plus précisément son portail ouest, datant du milieu du XIIème siècle (ici avant restauration).

Au tympan s’y trouve le couronnement de la Vierge, sur les voussures l’ascendance de Jésus (l' « arbre de Jessé »), plus quelques prophètes et autres personnages bibliques, aux ébrasements des personnages typologiques de l’ancien testament, dont saint Jean-Baptiste, Abraham, Moïse, Siméon, David...

Suite à quelques déprédations révolutionnaires on décida en 1845 d’en faire la restauration, qui commença par la recréation des têtes des statues-colonnes des ébrasements (photo ci-dessous). Le résultat en fut assez mauvais pour qu’en 1849 Prosper Mérimée, alors rapporteur de la commission des monuments historiques, fasse arrêter le travail du sculpteur Robinet qui n’a donc pas laissé son nom dans l’histoire de l’art comme sculpteur-restaurateur de premier ordre, même s’il eut par ailleurs une carrière honorable de sculpteur parfaitement académique. Mérimée préférait que l’argent disponible soit employé à la réparation des combles et à la consolidation de l’édifice.

Avant les fantaisies de Robinet, on avait fait les moulages en plâtre des statues mutilées. Conservées au MMF je pus les observer d’assez près, mais pour ne rien découvrir de spécial, sinon une patine à la barbotine assez foncée qui leur était propre et différente de celle de la plupart des autres moulages réalisés à partir de 1881 et de l’ouverture du musée.

Le hasard faisant bien les choses, un échafaudage était alors monté sur la façade ouest de la cathédrale pour l’étude du portail afin que le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH) puisse y travailler, prélever puis analyser en laboratoire. C’était principalement en raison de la polychromie exceptionnelle qu’on savait conservée sous l’encrassement, et qu’on allait remettre au jour un jour. Je ne manquais pas d’aller faire un tour sur place pour y voir de plus près l’original, y croiser entre autres l’excellente connaisseuse du sujet Delphine Christophe et faire quelques photos.

Mais, de par Dieu couronnant, que c’était sale !

Un appel d’offres à rendre infructueux

J’étais d’autant plus intéressé que ce portail était dans tous les esprits de notre petit monde de la conservation-restauration avec la problématique de sa restauration et l’arrêt (temporaire) de la procédure depuis trois ans.

Un appel d’offres avait en effet été lancé début 2003. La nouvelle s’était répandue assez vite et le dossier d’appel d’offres avec son cahier des charges fut rapidement connu de tous. C’était catastrophique. Les propositions de l’architecte en chef étaient d’un autre âge. Elles avaient été malgré tout validées par la maîtrise d’ouvrage déléguée, c’est-à-dire la DRAC Picardie à travers la Conservation Régionale des Monuments Historiques (CRMH). Senlis se trouve en effet dans le département de l’Oise et la cathédrale est un monument communal, non un édifice d’Etat. Si la ville de Senlis, propriétaire, était naturellement maître d’ouvrage initial, elle avait délégué cette responsabilité à la DRAC, plus compétente. Le tout était supervisé par l’inspection générale des MH, à Paris. La maitrise d’œuvre était naturellement assurée par l’architecte en chef des MH du lieu.

C’était catastrophique car, en plus de traitements inconvenants, le projet de restauration était d’un interventionnisme suranné, consistant en une quasi remise à neuf du portail avec la recréation de quelques « sculptures neuves » (dont la forme serait à définir au cours du chantier) et surtout la reconstitution plus qu’exagérée de la polychromie.

Brièvement dit, on allait faire en 2006 pour la polychromie ce qu’on avait arrêté de faire en 1849 pour la sculpture, grâce à Mérimée.

 

Cette proposition était à l’encontre de la vision distanciée et respectueuse que tous (sauf donc quelques-uns) avaient adoptée durant les dernières décennies vis-à-vis des œuvres patrimoniales et qu’on trouvait désormais dans de nombreuses chartes déontologiques internationales. Intervenir pour conserver l’existant afin d’assurer sa pérennité, le nettoyer de la crasse (qui n’est pas la « patine ») : oui.  Restaurer avec interprétation subjective et presque re-création : non.

Cela faisait déjà une trentaine d’années que les formations de haut niveau en conservation-restauration existaient et qu’exerçaient les « nouveaux » restaurateurs, qu’on pourrait d’ailleurs appeler plus précisément conservateurs-restaurateurs (mais on s’en tiendra ici au premier terme, plus usité et plus compréhensible).  Nous, les spécialistes en sculptures anciennes longuement formés, étions tous révoltés. Les enseignants parmi nous l’étaient peut-être encore davantage, qui prêchaient inlassablement la bonne parole aux étudiants à l’Institut National du Patrimoine (INP) ou à Paris 1 et voyaient donc appliqué à Senlis le contraire de  ce qu’ils enseignaient.

Mais nous n’étions pas sans ressources pour faire valoir notre opinion. En premier lieu, nourris de techniques anciennes ou modernes, de science des matériaux anciens, d’histoire de l’art et de déontologie, nous partagions d’abord le même état d’esprit. Ensuite, la mise en commun de nos expériences individuelles augmentait fortement notre légitimité. Nous avions aussi une autre mise en commun possible, celle de nos « réseaux » qui commençaient à se constituer, principalement dans le milieu de l’histoire de l’art au sens large, universitaires comme conservateurs de musée ou de monuments historiques et qui partageaient notre point de vue.

Passage à l’acte

Je ne sais plus qui a pris l’initiative, mais toujours est-il que nous nous retrouvâmes un jour en petit comité dans l’atelier de l’une d’entre nous à discuter de la situation et à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour rendre l’appel d’offres infructueux. La chose n’était pas facile, car il n’est pas dans l’ordre des choses que de petits entrepreneurs isolés et indépendants comme nous fassent  comprendre à l’administration son erreur, qu’elle revienne sur la procédure, qu’elle en entame une autre plus conforme (coûteuse en temps et en argent) et aussi qu’un architecte en chef soit retoqué de la sorte par des personnes qu’il est censé diriger en temps ordinaire. 

Notre groupe, constitué uniquement pour la circonstance, s’intitula tout simplement « Collectif portail de Senlis ». Il était composé de restaurateurs de différentes disciplines, souvent à la fois praticiens et enseignants, ayant eu dans leur carrière la responsabilité de traitements d’œuvres importantes. Il s’agissait de Julie André, Hubert Boursier, Elisabeth Evangelisti, Benoit Lafay, Juliette Mertens, Marie Payre, Geneviève Rager et moi-même.

 

Deux membres de notre collectif rédigèrent un « regard critique sur l’appel d’offres concernant la restauration du portail central de la façade occidentale de la cathédrale de Senlis ». C’était une approche critique et très détaillée du cahier des charges exposant en quoi  les travaux demandés étaient incompatibles avec le portail et son état, autant du point de vue technique que déontologique. Une fois ces constatations rédigées, nous pouvions communiquer notre opinion en faisant fonctionner les réseaux de pouvoir que nous savions acquis à notre cause.  Ce fut par la diffusion de cette vision très critique accompagnée d’un courrier circonstancié. Nous pensions surtout à l'influence de professeurs d’université reconnus qui ne manqueraient pas au besoin de prendre contact avec la presse pour mieux dénoncer la situation, ce que l’administration  n’aime pas du tout.

De plus, chacun des membres du collectif pouvait avertir plus personnellement les contacts qu’il possédait individuellement, et prendre en son nom propre toute initiative qu’il jugerait utile. Nous fumes plusieurs, chacun dans son style, à envoyer une lettre détaillée de non-candidature aux responsables concernés du ministère de la Culture, de la ville de Senlis et à l’architecte en chef, où nous exposions en quoi le travail imposé par le cahier des charges était contraire à la vision que nous avions de notre métier.

Une pause et une nouvelle étude

Et l’improbable se produisit : l’administration arrêta courant 2003 la procédure de l’appel d’offres pour la restauration du portail, et commanda une nouvelle étude de polychromie… Car si le LRMH avait déjà beaucoup prélevé et analysé, du point de vue méthodologique la contextualisation (sorte de tentative de synthèse entre l’analyse scientifique et l’observation sur place de la mise en couleur dans sa globalité) n’avait pas été faite. Cette dernière ne pouvait l’être que par des restaurateurs spécialisés.

Malheureusement, chacun était retourné à ses occupations, et personne parmi nous n’avait vu sortir l’appel d’offres de cette nouvelle étude. Il n’y avait pas encore d’abonnement ni d’alerte internet sur des sites spécialisés en marchés publics. Seules les « grosses boites » étaient en mesure de tout voir passer.

 

 

L’étude fut donc confiée à une de ces grosses sociétés de restauration monumentale. Tout en étant honnêtement conduite, elle pêchait par le fait majeur que son conducteur n’était pas particulièrement spécialiste en polychromie médiévale.

Eh bien, allons-y !

Une nouvelle étude avait donc été faite et l’administration avait demandé à l’architecte de présenter un nouveau projet. Le résultat en fut que début 2006 parut un nouvel appel d’offres modifié pour les travaux (encore un), qui cette fois-ci ne nous avait pas échappé. Personnellement, je n’avais pas très envie d’y répondre en montant une équipe seul dans mon coin. Trop lourd. Ce furent en fait trois de mes camarades restauratrices qui me convainquirent de me joindre à elles et de me lancer dans cette aventure, en y tenant le rôle de mandataire d’une équipe à constituer avec elles.

Nous étions huit co-traitants. Les trois restauratrices à l’initiative de ce projet étaient Julie André, Sabine Kessler, Amélie Méthivier. S’y adjoignirent les restauratrices Maÿlis de Gorostarzu, Delphine Masson et Jennifer Vatelot, plus le sculpteur Leandro Berra. De mon côté j’assurerais les fonctions habituelles et chronophages d’un mandataire tout en  restaurant comme mes collègues, mais moins en quantité.

Vu l’ampleur du travail et sa complexité, il nous apparut assez vite qu’il était préférable de compléter l’équipe par cinq autres restauratrices: ce furent Christine Bonnecase, Nathalie Bruhière, Sabine Cherki, Cécile Cordier-Cuisinier, Fabienne Druilhe, plus le mouleur Claude Guémard. Le tarif était le même pour tous, puisque chacun(e) d’entre nous aurait le même degré de responsabilité sur la restauration de « sa » ou « ses » zone(s), réparties équitablement suivant l’intérêt et la difficulté du travail.

On a vu la présence d’un sculpteur et d’un mouleur. Il était en effet demandé des travaux de moulage (d’une petite tête conservée au musée de Senlis, qu’on pensait provenir du portail) et de sculpture pour certaines parties manquantes. Sur ce dernier point, il était impossible désormais de s’opposer à cette obligation, même si elle était encore en contradiction avec notre vision des choses. On verrait bien comment le conflit prévisible se réglerait.

La bonne nouvelle du succès arriva en mai 2006. Quelle satisfaction d’apprendre qu’on a été choisi pour un tel projet ! La tâche serait rude et délicate, mais remettre à jour un si bel ensemble de sculptures médiévales était exaltant.

L’été 2006 fut occupé par la réalisation d’un constat d’état général et l’organisation matérielle du chantier, avec la répartition des zones par restaurateur. On fit des compléments de l’étude de polychromie, avec de nouvelles analyses et des tests de traitements le tout  étudié par le LRMH, dont le travail fut considérable et qui de plus nous soutint en permanence, particulièrement sa directrice, Isabelle Pallot-Frossard. (ici une des coupes minces du bleu du fond du tympan).

Un portail bien genré, une équipe de restaurateur-trices aussi

J’avais la chance d’assez bien connaitre tous les membres de l’équipe de restauratrices, choisies avec Julie André, Sabine Kessler et Amélie Méthivier : j’étais de loin le plus âgé et notre milieu était encore restreint. La plupart d’entre elles avaient déjà travaillé avec moi sur un ou plusieurs de mes chantiers, soit comme stagiaire, soit comme jeune professionnelle, où encore comme étudiante lors de mes cours sur le laser à l’INP, parfois même les trois.  J’emploie le féminin car j’étais le seul homme restaurateur, de plus responsable du chantier… La situation était révélatrice de la  grande féminisation de l’activité de conservation-restauration qui s’était faite en moins de quinze ans, mais c’est un autre sujet.

Cela ne changeait strictement rien pour le travail, mais notre équipe peu mixte faisait curieusement écho à la sculpture sur laquelle nous avions à travailler. Au tympan une seule femme, Marie, dont on peut dire très brièvement qu’elle fut mère plutôt que femme. Tout là-haut, dans les voussures, une seule femme entourée d’hommes, Tamar, femme avant tout suivant les critères bibliques, c’est-à-dire progénitrice. (photo avant restauration)

Tamar (ou Thamar, à ne pas confondre avec une autre Tamar, fille de David)  fut  tour à tour l’épouse et la  veuve des deux premiers fils de Juda, Er et Onan, celui de la masturbation ou du coït interrompu, on ne sait pas très bien, les exégètes se déchirent à ce sujet. 

Plus sérieusement la Bible nous dit Tamar  demeura sans progéniture  des deux frères et usa d'un subterfuge pour s'unir à Juda qui refusait de lui donner son troisième fils en mariage. De cette union naîtront les jumeaux Zérah (ou Zara)  et Perets (ou Pharès), ancêtre de Jessé et de son fils David, et finalement de Jésus. Tamar n’est pas la seule femme mentionnée dans la généalogie de Jésus qui se trouve au début de l’évangile selon saint Matthieu, mais elle est la seule représentée à Senlis. Peut-être son histoire scabreuse a-t-elle particulièrement intéressé le créateur du programme des voussures du portail ?

Il fut donc naturel, quand je proposai à mes collègues la répartition des zones à restaurer entre nous, que seul homme restaurateur je m’occupe du seul élément féminin du portail (hormis la Vierge couronnée). Il n’y eut pas d’objection.

Les travaux

Les différentes opérations de restauration inscrites dans le cahier des charges étaient classiques : quelques consolidations assez limitées de la pierre par injection de coulis dans quelques fissures assez fines d’ailleurs, application de consolidant en surface, dessalement de zones très limitées, comblements et bouchages de sécurité et bien sûr un nettoyage complet. Moins classiques étaient quelques compléments en « pierre neuve », petits restes de l’appel d’offres infructueux de 2003.

Chance extraordinaire, mis à part quelques surpeints locaux, la polychromie originale n’avait été recouverte que d’une seule  autre mise en couleur, certainement médiévale elle aussi et dans les mêmes tons que l’original (sauf dans le fond des voussures). Elle  était par contre très souvent recouverte, en plus de l’encrassement naturel,  d’une fine couche gris-clair  étrange, assez dure, qu’on rencontre rarement et que l’analyse du LRMH trouva être du sulfate de plomb. Plutôt qu’une couche volontaire (sa morphologie et sa situation excluaient cette hypothèse), on supposa qu’on avait là le résultat d’une interaction entre les particules soufrées de pollution provenant de l’extérieur avec le plomb présent dans plusieurs pigments, que ce soit en sous-couche comme dans les couches colorées. Sa morphologie de couche aurait été due à une lente migration vers la surface suivie d’une forte concentration, par le biais d’échanges permanents entre le matériau et l’extérieur.

La révélation

Chacun venait avec son matériel, le chantier fournissant air comprimé et « consommables » tels que poudre pour le nettoyage de la couche de crasse et de la couverte de sulfate de plomb, produits de consolidation et de bouchage etc… Le travail ne se déroula pas toujours dans des conditions matérielles faciles…

 

Je proposai le laser de nettoyage pour quelques zones  bien précises et assez rares ayant perdu toute trace de polychromie, en raison des risques de destruction de certains pigments sous l'action du rayon. Cela fut exclu d’emblée par le comité scientifique. C’était une décision purement politique, car il aurait été préférable d’utiliser cette technique pour les zones à l’épiderme fragilisé  (comme pour plusieurs voussoirs côté nord), et donc sans polychromie plutôt que d'employer la microabrasion. Le comité scientifique admit mon argumentation mais soupira sans changer d'avis (si tant est qu’un comité scientifique puisse soupirer), car de gros problèmes apparaitraient si on avait dit à l’extérieur que :

  • Horreur !  « Ils » utilisent le laser à Senlis, là où il y a tant de couleur, « Ils » font vraiment n’importe quoi.

L’information est en effet si vite déformée ! Sur le fond, c’était désobligeant vis-à-vis de notre profession, souvent infantilisée. On n’interdit pas à un chirurgien l’utilisation du scalpel pour une appendicectomie, sous prétexte qu’il risque de trancher l’artère fémorale.

Je venais au moins une fois par semaine durant quelques jours (sauf pendant la période hivernale) pour restaurer, échanger avec l’équipe, être présent aux rendez-vous de chantier comme mandataire, faire de la documentation. Il était assez merveilleux pour moi de découvrir petit à petit la beauté de la sculpture nettoyée reprenant vie avec placement correct de la lumière et des ombres sur les volumes, mais aussi magnifiée par la mise à jour des couleurs et l’apparition des regards.

D’une fois sur l’autre et en raison du planning de répartition (2 ou 3 restauratrices travaillaient simultanément, ni plus ni moins pour des raisons techniques et de sécurité) je croisais des collègues différentes et communiquais avec le groupe entier par mail. Je n’ai le souvenir d’aucun problème relationnel, d’aucune anicroche autant pour le résultat du travail que pour les questions matérielles à régler en permanence. C'était le bonheur.

Le comité scientifique était très satisfait, l’architecte aussi, qui nous laissait d’ailleurs travailler en paix et en toute responsabilité.  

La robe rouge de Tamar, le regard de Marie

Je ressentis encore plus ce plaisir…

Suite et fin dans quelques jours  

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17 mars 2020 2 17 /03 /mars /2020 10:44

La trouille du virus à la Villa Médicis

 

S’appelle-t-il Carlo ? Ou alors  Massimo ? Ma mémoire s’embrume.

Massimo est affolé, on le voit frapper de porte en porte, d’atelier en atelier, de logement en logement, dans cet immense lieu qu’est la Villa Médicis. Il m’explique la raison de cet empressement quand il passe chez moi : son neveu est à l’hôpital, en danger ; on manque de sang pour une opération.

Massimo est apprécié autant du personnel administratif et technique que des pensionnaires. Désespéré, il court,  cherche des bonnes volontés au sein de l’Académie de France à Rome,  des personnes prêtes à donner leur sang pour cette cause particulière.

Nous sommes mi-mars et le printemps s’annonce de toutes parts dans le magnifique jardin de la Villa, avec la superbe vue de la Ville en contre-bas. Le contraste est grand entre la beauté du lieu, la nature revenant à la vie et  l’angoisse, le désespoir qu’on perçoit dans les yeux et la voix de Massimo.

Une amie, restauratrice de peinture, est à Rome venue nous rendre visite, à ma femme et moi. Après une  brève discussion, nous tombons d’accord pour faire ce geste : nous savons ce qu’est le don du sang, nous l’avons fait quelquefois. De rares fois j’avoue, mais ce n’est pas nouveau pour nous. Enfin, il est plus motivant  de donner quand la sollicitation est  personnalisée.

Nous voilà donc  partis pour l’hôpital au centre de Rome. Nous sommes à une époque où la confiance des Français dans les capacités médicales et techniques des italiens est encore limitée. C’est absurde, tout est impeccable dans les locaux hospitaliers : accueil, hygiène, protections personnelles et du matériel de prélèvement face au virus qui est dans tous les esprits.

Avant le prélèvement, on prend naturellement ma tension. Elle est juste en dessous de la limite autorisée ! Je ne peux donc pas faire ce geste de solidarité.

J’aurai tout de même essayé. Ceux qui entreprennent cette démarche savent combien elle est sans risque, anodine, qu’on n’a pas grand mérite à y consacrer une heure ou deux, ce qui est ridicule en regard des bénéfices que cela procure.

De retour à la Villa, je rencontre plusieurs pensionnaires et leur raconte cette petite histoire, leur demandant si eux-mêmes avaient fait le geste. Tous me répondent la même chose, en gros qu’ils n’allaient pas risquer leur vie en ces temps sanitairement troublés, avec ce virus qui traîne partout. C’est une évidence pour eux. Les arguments rationnels que je leur donne n’ont aucune prise. Sont-ils donc tellement dans l’imaginaire qu’ils en sont à renier tout raisonnement, ou se défilent-t-ils en invoquant de faux arguments ?  Le seul qui aurait bien voulu accepter est le sensible Jean-Jacques Couapel, dont je devine alors qu’il est  lui-même atteint du virus !

Je croise quelque temps plus tard Massimo, lui demande des nouvelles de son neveu : l’opération a pu  avoir lieu et les choses vont dans le bon sens. Mais, me dit-il sur un ton de rancoeur et de tristesse, c’est plus grâce à la solidarité des personnes de l’administration qu'à celle des artistes, pourtant spécialistes du geste. 

C’était en mars 1987 ;  le virus était le VIH,  responsable du SIDA.  

 

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19 janvier 2020 7 19 /01 /janvier /2020 17:58

Notre-Dame :

Autour de la flèche de Viollet-le-Duc à la mâle énergie : modèle, trahison, érection, éviction (2)

1854-1868 Parution du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle

Article "Restauration"

« Le mot et la chose sont modernes. Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné…. …. Nous avons dit que le mot et la chose sont modernes, et en effet aucune civilisation, aucun peuple, dans les temps écoulés, n’a entendu faire des restaurations comme nous les comprenons aujourd’hui. »

Il n'est pas un article depuis l'incendie 15 avril qui ne reprenne la deuxième phrase de cette citation, dont la suite est tout aussi importante, sinon plus ! 

Viollet-le-Duc est donc avant tout un artisan de la mise en oeuvre de l'utopie positiviste. 

 

 

Article "Flèche"

Flèches en pierre

Nos flèches de pierre des xiie et xiiie siècles, [sont] sobres dans les détails, mais d’une si parfaite élégance comme silhouette et, au demeurant, beaucoup plus solides et durables. Le domaine royal est la véritable patrie des flèches ; La Normandie a élevé, pendant le xiiie siècle, un grand nombre de flèches… …mais ces conceptions sont loin de valoir celles de l’Île-de-France. Les flèches des églises de l’abbaye aux hommes de Caen, des cathédrales de Coutances et de Bayeux, ne nous présentent pas une entente parfaite des détails avec l’ensemble : leurs pinacles sont mesquins, confus, couverts de membres trop petits pour la place qu’ils occupent ; les silhouettes sont molles, indécises, et n’ont jamais cette mâle énergie qui nous charme dans les contours des flèches de Chartres, de Saint-Denis, de Senlis, de Vernouillet et d’Étampes.

C’est sans doute en raison de l’intérêt pour cette « mâle énergie », francilienne et non normande (les Normands apprécieront), que Viollet-le-Duc créera des flèches toujours plus hautes, aux contours marqués (crochets aux angles…)

 

Flèches en charpente

(Ancienne flèche de Notre-Dame)

Notre-Dame de Paris possédait une flèche en bois recouverte de plomb, qui datait du commencement du xiiie siècle. Cette flèche, démolie il y a cinquante ans environ, était certainement la plus ancienne de toutes celles qui existaient encore à cette époque ; sa souche était restée entière, à l’intersection des combles, jusqu’à ces derniers temps. Or, des flèches de charpente, la partie la plus importante, celle qui demande le plus d’études et de soins, au point de vue de la construction, est la souche. Aussi avons-nous relevé exactement ces débris de l’ancien clocher central de Notre-Dame de Paris, avant de les enlever pour y substituer la charpente nouvelle, qui, du reste, est établie d’après le système primitif.

Quelques agrandissements de la flèche médiévale, à partir d'images de la cathédrale (il en existe certainement beaucoup plus que dans cette maigre liste)  : 

(Nouvelle flèche)

La souche de la flèche de Notre-Dame de Paris, bien qu’elle fût combinée d’une manière ingénieuse, que le système de la charpente fût très-bon, présentait cependant des points faibles. Aussi, tout en respectant le principe d’après lequel cette charpente avait été taillée, a-t-on dû, lors de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame de Paris, améliorer l’ensemble du système et y introduire les perfectionnements fournis par l’industrie moderne...

La charpente en réduction, dans l'exposition actuelle au musée des monuments français

" Le système d’après lequel a été établi la souche de la flèche de Notre-Dame de Paris étant bien connu, examinons cette flèche au-dessus du faîtage du comble, c’est-à-dire au-dessus du niveau d’où elle commence à se détacher sur le ciel....


. …

…. Les grands pinacles avec leurs crochets qui fournissent toujours des points ombrés et brillants tout autour de la pyramide, du côté du clair comme du côté opposé à la lumière, contribuent encore à éviter ces illusions de l’œil qui sont produites par des masses d’ombres opposées sans rappel de lumière à des masses claires sans rappel d’ombre. Nous ne saurions trop le répéter : lorsqu’un édifice ou partie d’un édifice se découpe entièrement sur le ciel, rien n’est indifférent dans la masse comme dans les détails ; la moindre inattention dans l’adoption d’un ornement, dans le tracé d’un contour, dérange entièrement l’harmonie de la masse. Il est nécessaire que tout soit clair, facile à comprendre, que les profils et ornements soient à l’échelle, qu’ils ne contrarient jamais la silhouette, et cependant qu’ils soient tous visibles et appréciables.

La flèche de Notre-Dame de Paris est entièrement construite en chêne de Champagne ; tous les bois sont recouverts de lames de plomb, et les ornements sont en plomb repoussé [8].

 

Quant au modèle, c'est  surtout celui donné par  la flèche de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, profitant au passage de l’expérience technique du charpentier Bellu. Viollet-le-Duc avait donc abandonné le premier projet (celui de 1843).

Érection de la nouvelle flèche, avec son échafaudage. 

1857-1864 Les travaux structurels sont pour la plupart terminés. Ce sera l’époque de réfection des décors, de la mise en place de la couverture… .

Lassus meurt en juillet 1857. Viollet-le-Duc continue seul la restauration. Des centaines de sculptures sont créées, qui sont soit des reprises de compositions originales (sculptures du portail central par le sculpteur Toussaint, suivant la gravure ancienne), soit des œuvres « dans le style » à partir d'originaux d'autres édifices comme pour les portails et la galerie des rois, soit de pure imagination comme pour les gargouilles, où se trouve le réel génie inventif de l’architecte. Viollet-le-Duc, c’est la gargouille et la stryge ! Les sculpteurs n’ont pas de liberté dans l’exécution des œuvres.

Ils sont le plus souvent dirigés par le sculpteur Geoffroy-Dechaume, qui fera d'ailleurs le portrait de Viollet-le-Duc, en buste et en statue.

Les dessins de Viollet-le-Duc sont de qualité variable, excellents pour la statuaire des portails ou de la galerie des rois, plus faibles pour les sculptures de la flèche.

Pour cette statue de la flèche (dessin aquarellé) on voit une attitude inattendue (bras levé sortant aux courbes étranges) pour une statue du XIIIe siècle, une base bien trop étroite, et d’un point de vue technique de dessin, la mise en place de rehauts blancs (correspondant aux zones de la sculpture les plus éclairées, la lumière venant d'en haut à gauche) placés un peu trop à la va-vite. 

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1859 15 août. La flèche de la croisée est inaugurée, bien éloignée de celle proposée dans le projet de 1843, où il était dit que « l’artiste doit s’effacer, oublier ses goûts…. … ne pas faire de l’art mais se soumettre à l’art d’une époque… ». Citons le très savant A. Erlande-Brandenburg qui résume parfaitement la chose, dans son principal ouvrage sur la cathédrale (p.225) :

« Par la suite, Viollet-le-Duc élabora un projet daté du 29 octobre 1857 (trois mois après la mort de Lassus) qui manifestait une très grande liberté par rapport à ses idées initiales, mais aussi vis-à-vis de la réalisation du XIIIème siècle ».

Viollet-le-Duc aurait-il donc « profité » de la disparition de Lassus pour laisser libre cours à ses propres vues ?

On parle beaucoup du manque d’humilité de l’architecte, qui a pris la place de Saint Thomas, patron des architectes, et qui ici ose regarder le ciel. (On dit d'ailleurs souvent que les architectes en chef manquent d'humilité. A Versailles par exemple, ou quand l'humour est prétexte pour dissimuler la vanité....).

Viollet-le-Duc admire-t-il le sommet de sa réalisation, de quinze mètres de plus en hauteur que la flèche d’origine ? On se demande pourquoi Lassus n’est pas également représenté en apôtre !  Dessinateur exceptionnel certes, Viollet-le-Duc comme architecte a beaucoup appris au contact de Lassus, et n’aurait sans doute pas gagné sans lui le concours de 1843 de la restauration de la cathédrale.   N’a-t-il pas pris comme modèle pour Paris la flèche de la cathédrale Sainte Croix d’Orléans (de Boeswillwald), et un peu de celle de la Sainte-Chapelle, créée justement par Lassus ? Le non-historien que je suis ne peut s’empêcher de trouver cela ingrat, même injuste !  

Finalement, la forme et la hauteur de cette flèche ne sont-elles pas le résultat d’une trahison ? Viollet-le-Duc n’est pourtant pas un traitre dans ses multiples réalisations, c’est un le plus souvent créateur/sauveur soumis à une idéologie (permettant aussi de flatter sans doute son ego), qui n’est pas celle de nos obligations patrimoniales d’aujourd’hui et sa récente réhabilitation est méritée.  Mais à Paris il s’est sans doute laissé emporter par une forme de démesure, d’ »ubris ». Pourquoi n’a-t-il donc pas conservé le premier projet de 1843, proche de la flèche d’origine ? Laissons les historiens de l’architecture, historiens de l’art et autres historiens régler cette question, et toutes les autres, afin que le politique décide en toute connaissance de cause ! 

 

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1864 31 mai Inauguration de la fin des travaux de restauration de Notre-Dame, devenue un monument partiellement XIXe, comme Pierrefonds, comme à Carcassonne, mais aussi le Haut-Koenigsbourg, la Wartburg, et en tant d’autres lieux, de fortes adaptations ou créations néogothiques qui ne manquent d’ailleurs pas d’allure !

1879 Création du musée de sculpture comparée (musée des monuments français)

Viollet le Duc avait très tôt souhaité (1855) la création d’un musée de sculpture française, appelé par la suite musée de sculpture comparée, puis musée des monuments français, reprenant une ancienne appellation (du latin monere = ce qui indique, avertit). L’architecte avait théorisé l’évolution des formes sculptées, croyant en un « progrès » puis une décadence de la valeur des formes. Il estimait supérieure la statuaire médiévale de la première moitié du XIIIème siècle, et parmi celle-ci ce qu’on peut voir à Chartres, Amiens, Reims... cela dans un nationalisme bien de son époque.

L’idée d'un musée de moulages apparaissait déjà dans une pétition de 1848 des mouleurs de Paris  mais c'est donc à Viollet le Duc  que l'on doit la création du musée, inauguré trois ans après sa mort  en 1882. les moulages sont pour la plupart ceux des exemples cités par Viollet-le-Duc dans son dictionnaire comme caractéristiques de l'art médiéval.

 

Ici le pilier des anges de la cathédrale de Strasbourg, avec une vue de l'intérieur prise au cours des travaux de rénovation des années 2000.

 

1890 Averell Dalton se révèle avoir plus de scrupules que Viollet-le-Duc. Il ne copie pas un petit revolver pour en faire un gros, plus impressionnant face aux gardiens de la prison. Il s’en tient au modèle primitif. Joe Dalton est estomaqué, et furieux. Cette scène peut se voir dans l'album « L'héritage de Ran tan plan. » de Morris et Goscinny (Editions Dargaud, 1973).

1960 (vers) Dans le cercle familial, j’entends pour la première fois parler d’un certain Viollet-le-Duc, plus pasticheur que sauveur. Il faut dire que, habitant dans le château de Vincennes, pile entre la Tour du village et le donjon, notre famille était assez sensibilisée au patrimoine architectural et à son histoire mouvementée.

1977 Je travaille à Notre-Dame comme tailleur de pierre (Entreprise Quélin).

1990 Début de restauration de la façade de la cathédrale.

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1995 Je travaille à Notre-Dame comme restaurateur pour réaliser une étude de faisabilité de la toute nouvelle technique du laser sur les sculptures des tympans de la façade occidentale

1997 Ce fut aussi une œuvre de Viollet-le-Duc qui fut en partie atteinte par un incendie, le soir du 22 juillet 1997. Ce fut aussi au cours de travaux de rénovation qu’eut lieu le départ de l’incendie. Cette nuit-là, le Musée des monuments français eut sa toiture en bonne partie détruite, et la collection de moulages en plâtre du musée partiellement atteinte (par l’eau des pompiers), moins qu’on aurait pu s’y attendre, heureusement. Dans les années qui suivent d’importantes restaurations ont lieu auxquelles je ne participe pas, étant très sollicité par ailleurs par des études et travaux passionnants (statuaire de la cathédrale de Strasbourg, Puits de Moïse, Transi de Ligier Richer…).

 

2004-5 J’avais quitté en 2003 et à grand regret le Puits de Moïse avec son roi David, le majestueux Moïse et les quatre prophètes chanteurs, Zacharie, Isaïe, Daniel et Jérémie. Plus disponible en 2004, j’avais alors reçu une commande importante, celle d’une étude sur la mise en couleur des moulages du musée des monuments français, pour la totalité de la collection : patines, copies des restes de polychromie… J’avais  aussi  réalisé quelques restaurations (comme celle des moulages des originaux de la statuaire de la façade de Senlis,) Ici, tête d'un évangéliste du pilier des anges (Strasbourg)

Je vis avec effroi la mise en réserve de centaines de sculptures, perdues à jamais pour le visiteur, dont moi. J’en avais dessiné certains pendant mes études… Ces moulages sont désormais et pour toujours stockés dans des entrepôts industriels à une centaine de kilomètres de Paris, comme celui du tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, qui fut le plus coûteux à réaliser de toute l’histoire du musée (encore plus que les grands portails).

 

Ma première vraie rencontre, professionnelle avec Viollet le Duc eut donc lieu en 2004, mon étude demandant une connaissance relativement poussée de l’histoire du musée.

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Années 2010

A Notre-Dame un système de prévention des incendies est mis en place, avec de nouvelles serrures aux portes et un câblage spécifique installés. Les fils traînant ici ou là à l'intérieur et à l'extérieur sont également masqués en grande partie pour permettre une meilleure unité architecturale. La pollution génère des dommages importants (chute de gargouilles, ruine de pinacles…) qui conduisent en 2017 l'archevêché à lancer un appel à des dons pour de multiples travaux, dont celui de la réparation la flèche dont il faut refaire l'étanchéité.

La restauration de la cathédrale dans les années 1990 n’avait concerné que la façade occidentale, ce nouveau programme visait à entretenir l’ensemble du monument.

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2019 Le 11 avril : le programme global de restauration d'une durée de dix ans et dont le coût total est estimé à 60 millions d'euros (40 millions de l'État et 20 millions du mécénat) débute concrètement par la dépose des seize statues entourant la flèche, préalable aux travaux de restauration de celle-ci, prévus pour durer trois ans pour un coût de 11 millions d'euros.

2019 Le 15 avril Un incendie détruit la charpente et avec elle la couverture. Le flèche de Viollet-le-Duc s’embrase puis s’écroule entraînant avec elle la voûte de la croisée. Stupeur, effroi, colère et rage.

On a voulu entretenir par respect et piété, on a détruit par négligence. En d’autres lieux et d’autres époques, le responsable administratif aurait été muté et placardisé, le responsable technique aurait immédiatement abandonné sa charge. Quand dans une guerre une bataille est perdue, le ministre de la Guerre et son cabinet sont contraints à la démission et le général en chef limogé. Quant au soldat, salarié tailleur de pierre ou restaurateur indépendant monté au front, il n’a de toute façon pas droit à la parole et continuera à subir l’autorité des deux premiers et de leurs subalternes. Il mourra avant les deux autres, brutalement ou lentement, par mort physique ou par mort économique.

 

2019 Une flèche disparaît au printemps à Paris, une autre commence à réapparaître en été avec la première phase de la reconstruction de la flèche de la tour nord de la basilique de Saint Denis (celle dont Viollet-le Duc-avait remarqué la mâle énergie).

 

 

2024 15 avril. Jour pour jour 5 ans après l’incendie, les travaux de rénovation sont terminés. Élu aux élections présidentielles de mai 2022, le nouveau président de la république, Jean Lassalle, inaugure cet événement en dévoilant au monde entier le béret basco-béarnais couvrant désormais la croisée du transept, après avoir changé in extremis le choix du président sortant. Emmanuel Macron avait pourtant orienté sa campagne électorale dans le sens le plus sage (selon moi), à savoir la reconstitution de la flèche d’origine du XIIIe siècle, en s’appuyant aussi  sur le projet de Viollet-le-Duc et Lassus de 1843 (et non sur la création de 1859 détruite par l’incendie). Des recherches iconographiques faites par d'éminents historiens de l'architecture et les conclusions des archéologues du bâti avaient montré la faisabilité d’une telle reconstitution, sans interprétation majeure. 

Le débat avait fait rage entre la copie à l’identique de la flèche de Viollet-le-Duc, une reconstitution de la flèche d’origine (ce charmant clocher original cher à Victor Hugo), ou encore les 1238 projets très sérieux d’architectes du monde entier, tous très imaginatifs.

La durabilité du béret, cet éternel couvre-chef bien de chez nous, sa sensualité intrinsèque et son impact culturel énorme avaient finalement été préférés par les Français. L’argument électoral de Jean Lassalle avait porté : les touristes du monde entier allaient encore plus visiter notre beau pays, et surtout déguster sans modération de l’Ossau-Iraty et du jambon de Bayonne, rétablissant ainsi durablement la balance commerciale française.

 

2026 Changement constitutionnel : l’exécutif sera désormais assuré par un couple déclaré. Cela mettait un terme définitif au statut bâtard, jamais satisfaisant, de celui concernant le « Premier Monsieur » ou la « Première Dame ».

 

2099 Le 15 avril Marion Maréchal Le Pen et Manon Aubry,  109 ans chacune et en couple depuis 2022, sont enfin élues co-présidentes de la toute nouvelle république cathoslamophilaïque pacifiée, après 13 tentatives infructueuses. Elles  inaugurent  le gigantesque minaret remplaçant le béret néo-béarnais de 2024, retrouvant en cela le caractère phallique des anciennes réalisations. Paris et la France érotique éternelle, sinon laïque, valaient bien une prière à la mosquéglise.

Cette inauguration eut lieu jour pour jour 5 ans après l’incendie de 2094 ayant détruit le vénérable béret dit « de Lassalle », suite à des travaux de restauration (l’assurance de l’indestructibilité du tissu de ce couvre-chef vantée par ses promoteurs était en fait une entourloupe non décelée en 2022 par la valeureuse administration du Ministère de la Culture, parfois dépassée par les événements).

 

 

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On l’aura compris, cet article n’a aucune prétention « scientifique ». Il est simplement descriptif, parfois d’opinion, très rarement  d'imagination ! Il n’est pas de forme académique, et n’a donc pas besoin de bibliographie exhaustive.

Cependant, s’il veut en savoir plus, le lecteur peut beaucoup trouver son bonheur avec internet en cherchant sur google, qwant, dans wikipedia ou autre : Gilbert / Hugo / Viollet le Duc / Dictionnaire raisonné  /  MMF  /Fleche de Viollet-le-Duc / Machicote … etc

Cela ne sera sans doute pas suffisant et trois ouvrages papier un peu anciens mais excellents paraissent indispensables, parmi la très abondante bibliographie sur le sujet :

A. Erlande-Brandenburg, Notre-Dame de Paris, Ed de la Martinière, Paris, 1997

P.-M. Auzas, Eugène Viollet-le-Duc, caisse nationales des MH et des sites, Paris, 1979

B. Foucart, Viollet-le-Duc, l’éclectisme raisonné, Ed. Denoël, 1984, choix de très nombreux textes de l’architecte.

Non abordé ici mais important, le rapport de Viollet-le-Duc avec ses chantiers dans leur quotidien a été mis en lumière par A. Timbert, avec l’exemple de la Madeleine de Vézelay et la publication de la correspondance de l’architecte.

Quant aux souvenirs professionnels et personnels :  taille de pierre, sculpture, le laser, Vincennes, Saint-Denis, les bien réels Garinus Delivré et Jean Vacarius… on les retrouvera facilement en amont dans ce blog.

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15 janvier 2020 3 15 /01 /janvier /2020 15:18

Notre-Dame :

Autour de la flèche de Viollet-le-Duc à la mâle énergie : modèle, trahison, érection, éviction (1)


 

1163 Début de la construction de la cathédrale

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1220 (vers)  Fin de la construction de la nef, charpente et couverture comprises. On ignore s’il y avait ou non une flèche à la  croisée du transept (sans doute que oui).

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1230 (vers) Un incendie détruit la charpente supérieure et les combles (selon Viollet-le-Duc).

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1243 Garinus Delivré, paysan de Sucy-en-Brie, mon ancêtre, se porte garant (plège) pour l’affranchissement d’un de ses amis, Jean Vacarius. Pour fêter ça ils font le voyage à Paris, distant d’une quinzaine de kilomètres. Ils admirent la nouvelle toiture de la cathédrale en cours de construction et son impressionnante charpente, que le peuple appelle déjà la forêt. Au-dessus  de la croisée ils peuvent voir (ce qui n’est pas facile vu l’encombrement des habitations et l’étroitesse des rues) une flèche toute neuve, clocher non encore recouvert de plomb, mais contenant en son sommet une boule de cuivre doré renfermant des reliques, pour éloigner la foudre.

1240-50 Les deux tours de la façade occidentale sont achevées. On abandonne l’idée de les doter d’une flèche. La cathédrale n’aura donc qu’une seule flèche, celle du clocher de la croisée du transept et cela pour plus de cinq siècles. Cette silhouette s’imprime à vie dans la mémoire visuelle et affective de millions de parisiens, ce dont on se moque bien aujourd’hui puisqu’on préfère avec raison écouter l’opinion des vivants plutôt que celle des morts.

 

1726 Le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, intervient sur  l'architecture de la cathédrale. Il fait reconstruire la grande voûte de la travée qui menaçait de tomber en ruine (charpente et voûtes sont structurellement indépendantes). Il rénove des éléments de charpente et de la toiture, dont il fait changer tous les plombs, mais garde la flèche d’origine.

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1771,  A la demande du clergé, l’architecte Soufflot (celui du Panthéon) fait disparaître le trumeau et une partie du tympan du portail central, pour faciliter le passage des dais des processions. Sa réputation en pâtit encore aujourd’hui.

1793 Dépose de la flèche du XIIIe siècle, qui donnait de graves signes de faiblesse. Si elle disparait matériellement, on en possède plusieurs représentations par quelques vues de la cathédrale (peintures ou gravures) entre XVème et XVIIIème siècle. Iconographie fiable, un peu ou pas du tout ?

1821  Parution de La Description historique de la Basilique Métropolitaine de Paris de Antoine-Pierre-Marie Gilbert (1785-1858), « grand sonneur » de la cathédrale mais aussi archéologue fort érudit. De courts extraits de cet ouvrage méritent d’être repris :

«  CHIARPENTE DU GRAND COMBLE.

Les curieux verront sans doute avec intérêt la charpente du grand comble de l'édifice, vulgairement appelée la forêt depuis un temps immémorial… …..Cette vaste charpente soutient toute la couverture en plomb, et porte de toutes parts sur les gros murs de l'édifice; la partie centrale au-dessus de la croisée, également appuyée sur les quatre piliers angulaires, soutenoit un clocher qui a été abattu en 1793… …. Deux poutres ou entraits, du plus fort équarrissage, traversent diagonalement le centre de la croisée, et servent d'empâtement à un poinçon taillé en forme de pilastre gothique, sur lequel s'élevoit l'aiguille du clocher.

 ANCIEN CLOCHER .

Sur la plate-forme octogone que l'on aperçoit au centre de la croisée, s'élevoit autrefois une flèche ou clocher couvert en plomb, d'une construction élégante et hardie; son inclinaison vers le sud-est, faisoit craindre une chute prochaine, lorsque l'autorité municipale…   … ordonna la destruction de cette flèche en 1793, pour disposer du plomb en faveur du gouvernement révolutionnaire. Sa hauteur, depuis la plate-forme jusqu'à la tête du coq, étoit de cent quatre pieds : il résulte que cette flèche s'élevoit à deux cent quarante pieds au-dessus du sol de l'église. Elle étoit surmontée d'une grande croix en fer entée dans une boule de cuivre doré, dans laquelle on trouva en démolissant la flèche, une petite boîte de plomb, de trois pouces six lignes de longueur, contenant quelques parcelles de reliques inconnues…

Cette flèche contenoit six cloches, dont quatre, très-estimées pour leur harmonie, servoient, conjointement avec les grosses cloches des deux tours, pour annoncer l'office divin. Ces six cloches ont été cassées en 1792. »

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1831 Parution de Notre-Dame de Paris. Dans la longue description qu’il fait de la cathédrale, Victor Hugo mentionne le souvenir qu’ont les parisiens de la flèche médiévale, même s’il se trompe sur la date de sa dépose ! 

« Et si nous montons sur la cathédrale, sans nous arrêter à mille barbaries de tout genre, qu’a-t-on fait de ce charmant petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la croisée, et qui, non moins frêle et non moins hardi que sa voisine la flèche (détruite aussi) de la Sainte-Chapelle, s’enfonçait dans le ciel plus avant que les tours, élancé, aigu, sonore, découpé à jour ? Un architecte de bon goût (1787) l’a amputé, et a cru qu’il suffisait de masquer la plaie avec ce large emplâtre de plomb qui ressemble au couvercle d’une marmite. C’est ainsi que l’art merveilleux du moyen âge a été traité… »

Le génial romantique s’est un peu emporté : il s’est trompé de date de démontage de la flèche (1793 et non 1787) et le « charmant petit clocher » n’était pas si petit que ça (104 pieds si l’on en croit Gilbert qui l’avait vu de ses yeux vu jusqu’à l’âge de huit ans, puisque né en 1785, contrairement à l’écrivain, né en 1802).

Dessin de Garneray, qui serait une représentation de la flèche médiévale

1831-1838 Issu d’une famille aisée et artiste, Eugène Viollet le Duc (1814-1879) étudie d’abord chez l’architecte Leclère, puis refuse  de passer par l’école des Beaux-Arts qui est selon lui un « moule à architectes » dont l’élève « sort de là objet fabriqué de première, de seconde ou de troisième catégorie ». Il préfère le contact direct avec les monuments, voyage sans cesse de 17 à 24 ans. Dessinateur exceptionnel il découvre ainsi la France, l’Italie, la Sicile, mais aussi le Moyen Âge. Il dessine, dessine, dessine, apprenant autant sur le patrimoine médiéval qu’antique.  Tordant parfois le cou à la réalité, il apprend à jouer avec le patrimoine, à travers ses « restaurations ». A l’époque, une restauration pour un architecte était d’abord un dessin artistique d’imagination réalisé à partir de ruines ou du moins d’un bâtiment endommagé, en projetant son remontage ou simplement un aspect complet, fini (restaurer = remettre debout), en fonction à la fois des critères esthétiques et des connaissances archéologiques du temps. Ce sens perdurera un certain temps

Le sens en sera donc double, qui passera de celui de projet (plus ou moins utopique) à celui de réalisation. Le début de l’article « Restauration » du Dictionnaire raisonné de Viollet le Duc commence d’ailleurs ainsi « Restauration, le mot et la chose sont modernes... ».

On voit bien à travers les photos (prises en 2019) du site de Taormina (Sicile) et l'extraordinaire dessin aquarellé qu’en a fait Viollet-le-Duc pendant son séjour du 14 au 18 juin 1836 que le théâtre antique « restauré » est inséré dans un paysage ramassé, idéalisé (dans la réalité, on ne peut pas  voir à la fois la partie haute du théâtre à droite et la mer à gauche)

1840 La notoriété de Viollet-le-Duc s’accroit avec les débuts des restaurations de l’archevêché de  Narbonne et de la basilique de la Madeleine de Vézelay.

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1840. Fameux daguerréotype pris avant la restauration de Lassus et Viollet le Duc . On peut noter l'absence des statues de la galerie des rois (détruites à la Révolution) et le portail central du Jugement Dernier radicalement transformé par Soufflot en 1771. 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d7/Notre_Dame_de_Paris_en_1840.jpg/170px-Notre_Dame_de_Paris_en_1840.jpg

1843 Le 31 janvier, Lassus et Viollet-le-Duc déposent un projet de restauration de Notre-Dame de Paris. dans lequel ils indiquent que « …chaque partie ajoutée… doit être conservée, consolidée et restaurée… cela avec une religieuse discrétion… ». «… l’artiste doit s’effacer entièrement, oublier ses goûts… … il ne s’agit pas de faire de l’art, mais seulement de se soumettre à l’art d’une époque qui n’est plus ». L’adjectif « religieux » est sans doute choisi  par Lassus, qu’on sait empreint d’une grande poésie religieuse plutôt que par Viollet-le-Duc, non-croyant. Ce projet est accepté le 11 mars 1844. Jean-Baptiste Lassus (1807-1857), fut l’un des premiers architectes-restaurateurs incluant à ses projets un raisonnement véritablement archéologique. Ce fut lui le véritable professeur en architecture de Viollet-le-Duc, lui transmettant son savoir au cours d’une bonne dizaine d’années de collaboration.

Projet de restauration de la façade méridionale de Notre-Dame de Paris, dessin de Lassus et Viollet-le-Duc, 1843

Lassus et Viollet le Duc avaient trouvé dans la riche documentation de A.-P.-M. Gilbert le dessin du grand portail qu’ils firent graver avec la mention « Tiré du cabinet de M. Gilbert » pour le publier en tête de leur rapport.

Gilbert possédait aussi une copie d’un dessin de Garneray père (1755-1837) représentant l’ancienne flèche du XIIIe siècle détruite sous la Révolution. Cette copie était due à Émile Boeswilvald (1815-1896), l’architecte qui réalisa en 1858 la flèche de la cathédrale d’Orléans dont s’inspirera Viollet-le-Duc pour construire celle de Notre-Dame de Paris avec l’aide du même charpentier Bellu. Lassus et Viollet-le-Duc promirent aussi la reconstruction de la flèche d’origine – qu’ils agrémentèrent de crochets sur les arêtes – comme en témoignent les dessins de la cathédrale inclus dans leur projet de restauration. (ici la flèche du dessin de Garneray puis celui de la flèche dans le projet).

 

   

 

1845-46 Viollet-le-Duc a en charge le démontage la flèche de la tour nord de la basilique de Saint-Denis, très atteinte par de fortes intempéries les années précédentes. Il participe à sa documentation, en vue d’un remontage futur. Il ambitionne de rendre à la basilique ses imposants volumes et aux chapelles absidiales leur niveau et leur décor d’origine. Il projette également de reconstruire la façade occidentale, comme en témoigne un autre dessin de janvier 1860. Mais trop coûteuse, cette dernière opération ne put être menée à bien, ce qui le désole fortement « sa destruction (de la tour donc de la flèche), pour éviter un désastre, fut considérée comme un malheur public ». Cette flèche fait partie de celles à la « mâle énergie », dont il parle dans son fameux « Dictionnaire raisonné… ».

1850 Interruption des travaux à Notre-Dame, suite à l’absorption complète des crédits. Viollet-le-Duc et Lassus rédigent un rapport économique et d’évaluation générale sur les problèmes de réfection de la façade (nombreuses sculptures à recréer) et de la flèche

La cathédrale Notre-Dame pendant les travaux de 1845-1863 : la sacristie est terminée mais la flèche pas encore rétablie. Harrouart, avant 1859, musée Carnavalet.

1851 Viollet le Duc est très apprécié et connu de ce qui allait être le pouvoir impérial, ce qui le servira beaucoup pour sa carrière : trois semaines après le coup d’Etat du 2 décembre qui sera suivi du triomphal plébiscite en faveur du futur Napoléon III, il est nommé le 25 décembre avec Lassus « ordonnateur de la cérémonie qui doit avoir lieu le 1er janvier prochain dans l’église Notre-Dame de Paris à l’occasion du vote des 20 et 21 courant »

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1853 Les travaux reprennent sur la cathédrale.

 

de 1854 à 2099, à suivre très bientôt... 

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29 novembre 2019 5 29 /11 /novembre /2019 09:39

La restauration du Puits de Moïse (3) : folie, sérénité, technique, beauté

 

 

Folie

 

Ne fallait-il pas être un peu fou pour croire que méditer et prier dans une cellule, un cloître et une chapelle permettait d’être bien placé lors du Jugement dernier ?

A la chartreuse de Champmol les fous relevant de la psychiatrie avaient fini par remplacer  les chartreux, fous en religion. Mis à part le Puits de Moïse, le portail de la chapelle et quelques restes mineurs des bâtiments médiévaux, toute la chartreuse avait été abandonnée puis démolie pendant et après la Révolution pour être remplacée dans les années 1840 par un hôpital psychiatrique, justement dit « de la Chartreuse ». A Dijon et pour plaisanter, on dit encore aujourd’hui d’une personne qui tient des propos peu sensés qu’elle devrait aller à la Chartreuse, comme à Charenton ou Ville-Evrard pour un parisien, ou à Pinel pour un Amiénois…

Edicule

Le fou qui s’avançait vers le Puits de Moïse, en ce joli mois de mai 2002, avait un saladier retourné sur la tête. Du moins me l’étais-je imaginé quand je le vis, de loin, se diriger vers l’édicule à l’intérieur duquel je me trouvais, en plein travail. Il marchait lentement, d’une démarche bizarre, légèrement saccadée. Mais il s’agissait d’un malade et non d’un fou à l’ancienne, puisqu’on sait maintenant que dans les mots les fous ont disparu, remplacés d’abord par des aliénés, puis par des malades mentaux que la société et tant de professionnels dévoués essayent de soigner au mieux.

De nulles en hiver les visites touristiques du Puits étaient encore rares en ce début de belle saison, à peine quelques visiteurs du monde entier par jour. La plupart ne savait pas qu’une restauration était en cours, qu’il ne serait pas possible de voir correctement les célèbres sculptures. Ces curieux et moi échangions quelques mots, j’expliquais la situation dans mon  faible anglais, mon allemand hésitant, mon italien peu fluide, en espérant que le visiteur venu du monde entier comprenne une de ces langues. Puis le visiteur venu du monde entier repartait, déçu. Sa déception était à la hauteur de sa fatigue, immense, quand on connait la longueur du chemin (alors obligatoirement pédestre) et sa monotonie pour arriver au Puits de Moïse à partir du centre de Dijon, ou même de la gare.

Le visiteur n’allait pas attendre quelques mois à Dijon la fin de la restauration, malgré la réputation gastronomique du lieu. Il aurait sans doute bien voulu, mais il avait quand même autre chose à faire.

Revenons à notre porteur de saladier qui était, lui, un habitué des lieux, cela se voyait. Il s’approchait peu à peu de l’édicule et je finis par distinguer qu’il n’avait sur la tête ni un saladier, ni un entonnoir (signes distinctifs des fous dans l’imagerie populaire), mais un simple casque porteur d’électrodes. Celles-ci étaient encore fixées au casque, et donnaient au malade une allure d’extra-terrestre, de martien à l’ancienne.

La porte de l’édicule était ouverte (il commençait à faire chaud) et la conversation s’engagea avec sa première question, qu’il posa sans même dire bonjour et sur un ton agressif :

  • Ça sert à quoi tout ça ? me demanda t-il brutalement en désignant les sculptures.
  • Les sculptures sont abîmées, sales, je les répare, je les nettoie, répondis-je simplement , peu à l’aise face à son attitude et croyant qu’il parlait de la restauration.

Il insista en désignant les sculptures des prophètes, on était du côté de Zacharie, Daniel et Isaïe :

  • Non, non, pas ton travail ! ça sert à quoi tout ça, les types qu’il y a là ? Là, les deux barbus, le chauve ?

Décontenancé, je bredouillais quelques mots sur la beauté et son utilité, les capacités exceptionnelles de certains artistes… Mais il n’avait rien à faire de mon discours. Avec le temps, je me suis dit qu’il aurait sans doute préféré entendre les mots d’un poète, plutôt que des banalités qu’on peut lire dans des bouquins de vulgarisation d’histoire de l’art ou de philosophie. Le malade au saladier m’avait de toute façon à peine écouté, il était reparti trop vite vers son destin rempli de son étrange imaginaire.

Quant à moi, fort troublé, je me pose encore la question, non résolue : finalement, à quoi ça sert tout ça ? Je sais que certains, celles et ceux qui ont réponse à tout, se font forts d’avoir justement des réponses. Je n’en ai jamais été vraiment satisfait.

Sérénité

Les travaux avaient donc repris sur ce chef-d’œuvre après les péripéties des deux années précédentes. J’avais fini par comprendre la raison de la différence de prix entre ma concurrente et moi, lors de l’appel d’offres. C’est cette différence et le fait d’avoir été choisi qui avaient été à l’origine de gros problèmes avec un membre du comité scientifique (voir articles précédents). Là où j’avais estimé la durée d’utilisation du laser à 15 jours, ma malheureuse concurrente peu sûre d'elle l’avait de son côté estimée à 50 jours, soit 35 jours d’écart…  Quand on sait que le prix de location journalière d’une machine est en moyenne celui du prix d’une journée de restaurateur, cela nous donne en tout l’équivalent de 70 jours d’écart ; cela représentait une économie d’argent public d’environ 30.000 euros, à qualité équivalente de prestataires concurrents ! Il n’était donc pas étonnant qu’on m’ait choisi. J’étais sûr de moi, étant donné l’investissement personnel que j’avais eu vis-à-vis de cette technique du laser de nettoyage (voir article précédent) : recherches, publications, enseignements, expériences de terrain… investissement que ma concurrente n’avait pas fait de son côté. Mon budget allait d’ailleurs se tenir, sans enrichissement ni appauvrissement abusif.

 

Deux ans s’étaient écoulés après le début de l’opération, je connaissais maintenant très bien l’œuvre. Ses qualités artistiques m’impressionnaient encore (et m’impressionnent toujours). J’avais eu le temps d’approcher à fond sa matérialité et d’avoir compris l’état dans lequel elle se trouvait. J’étais donc serein. Comme en médecine, poser le bon diagnostic en conservation-restauration est le plus important. Il s’agit après, pour le « soigneur » médecin ou conservateur-restaurateur, de mettre en œuvre les remèdes à l’aide des techniques et produits à sa disposition, suivant un protocole sérieux. Pourvu qu’on en ait les moyens, restaurer une œuvre d’art insigne comme la plus modeste oeuvre d'une petite église de campagne demande le même soin, un peu comme une sinusite ou un cancer se soignent de la même façon pour un RMIste que pour un ministre.

 

Etat et techniques de restauration

 

Très brève histoire matérielle du monument

Construit, sculpté et peint entre 1395 et 1405, le monument est intégralement en pierre calcaire, de différentes natures suivant leurs destinations : pierre fine d’Asnières-les-Dijon pour la sculpture, pierre de Tonnerre pour la pile architecturée, pierre de Raines pour le soubassement et le tour du puits. La peinture de Jean Malouel est à l’huile de noix (sans compter les décors appliqués), les pigments, l'utilisation d'or sont classiques pour les œuvres peintes de cette époque.

Les comptes des ducs de Bourgogne nous avaient appris qu’une protection provisoire, charpente et toile cirée,  avait déjà été placée au-dessus du monument dès ses premières années d’existence. Peu solide et donc peu efficace, elle fut réparée plusieurs fois puis remplacée par l’édicule actuel, construit en 1648. Lui-même  ne fut pas bien entretenu, du moins pas assez pour qu’on soit contraint peu de temps avant la Révolution de déposer les sculptures supérieures (en en jetant des fragments au fond du puits !). Ce sont les sculptures figurant la Crucifixion : le Christ en croix, la Vierge, saint Jean, Marie-Madeleine, dont on n’a conservé que quelques très petits restes (visibles au musée archéologique de Dijon).

Il n’y avait rien ou presque entre le Puits et le grand carré constitué par les cellules des moines : un simple terrain herbeux allait servir de cimetière aux moines défunts, une fois leur vie de méditation achevée. On distingue d’ailleurs des croix sur un plan ancien.

 

Les chartreux quittèrent définitivement l’abbaye à la Révolution. Les sculptures furent  restaurées en 1842 par François Jouffroy, sculpteur académique connu en son temps, qui fit de remarquables reconstitutions. Très ponctuelles (le monument n’était finalement que peu abîmé) ces petites interventions ne détruisirent en rien l’original, tout en les complétant heureusement. Par contre, la peinture de Malouel avait pratiquement disparu sous les intempéries, et ce qui restait n’était guère visible sous la crasse. De loin, la sculpture paraissait comme non peinte. On ne fit donc en 1842 aucune campagne de mise en couleurs de type néogothique (c'était d'ailleurs un peu tôt). Un badigeon d’harmonisation assez léger fut appliqué, plus jutage que couche et de couleur ocre.

Depuis, aucune intervention d’importance n’eut lieu.  

En 2002 le monument était très sale (mis à part la face de David, restaurée en 1999). Si la pierre était parfois altérée, ce n’était que superficiellement et très localement. Quelques rares éléments reconstitués par Jouffroy étaient cassés ou mutilés : colonnettes, phylactère de Jérémie.

 

A propos de quelques techniques de restauration

Pour n’importe quelle restauration les produits et techniques proposés ainsi que leur protocole de mise en œuvre sont présentés dans le dossier technique exigé par le cahier des charges. Les traitements sont le plus souvent d’une effroyable banalité, car si toute œuvre d’art est unique, les types d’altérations ne sont pas légion. Les traitements se ressemblent donc souvent, et s’il est facile d’en connaitre la teneur (ainsi par un non-restaurateur), il l’est moins de les mettre en œuvre correctement. En résumé, la main est tout aussi importante que le choix d’un bon outil ou d’un bon produit. On pourrait même ajouter qu’une main consciente manipulant un outil (ou utilisant un produit) aux capacités limitées sera sans doute préférable à une main ignorante utilisant le bon outil (ou produit).

Le nettoyage de nos sculptures, qui demanda de loin la plus grande part du travail de restauration, nécessita l’emploi de plusieurs techniques. La nature des dépôts d’encrassement était variable, entre de simples poussières dans les zones les plus protégées et une réelle  couche indurée, noire de pollution ayant interagi avec la pierre en cas de disparition de la polychromie, protectrice de l’épiderme sculpté (même si ce n’est évidemment pas son but premier).

Pour le dégagement du vert (symbolisant l’herbe) sous les pieds de Moïse, il fallut employer le scalpel sous loupe, dans des conditions très inconfortables, et à une vitesse très lente en raison de la délicatesse du travail (réalisé par Clara Stagni) : minimum une journée pour une surface équivalente à un format A4. (il reste encore un témoin d'encrassement sur la photo).

Pour de simples dépôts sur les grandes plages sculptées des prophètes, de simples « compresses » suffirent, à base d’éther de cellulose, d’argile fibreuse (attapulgite) et de produit actif dissous dans l’eau, légèrement basique. Le rinçage doit être particulièrement soigneux.

Pour les zones où la crasse s’était indurée, et en absence de pigments sensibles à la lumière du laser, cette technique de « désincrustation photonique » fut utilisée. J’avais choisi le laser NdYAg à 4 fibres (laser LAMA), qui pouvait véhiculer le rayon sur une dizaine de mètres à partir de la station fixe où il était produit jusqu’au pistolet de sortie. Cette grande souplesse me permit  de respecter le temps prévu (Frédéric Rouchet participa à ce travail important).

Beaucoup de non-restaurateurs (conservateurs, architectes…) disent qu’il ne faut pas utiliser ce type de laser infra-rouge en présence de polychromie. C’est évidemment faux, car tout dépend du type de pigment présent (et/ou de liant). Si par exemple le vermillon et tout pigment au plomb noircissent ou grisent au premier impact, il n’en est pas de même pour les ocres, le vert comme la malachite ou les bleus tels que le lapis ou l’azurite, à faible énergie. Que ce soit dans la littérature ou par observation personnelle suite à de nombreuses expériences en laboratoire ou sur le terrain, je savais qu’on pouvait donc utiliser sans danger cette technique, pourvu que ce soit en toute connaissance de cause. Ce fut le cas à Champmol pour la robe de Jérémie. D’un beau vert à l’origine, elle était devenue grise, recouverte d’un jus de restauration sans épaisseur qui avait mal vieilli.

Ici le scalpel sous loupe était inopérant de même que les compresses, le microgommage était destructeur, et seul le laser (à faible énergie) put faire réapparaître, même très partiellement, la couleur d’origine et redonner avec cette couleur un peu crue l’aspect coloré particulier qu’avait cette sculpture.  Face aux autres personnages on a pu dire que Jérémie était une représentation du duc Philippe le Hardi en savant (avec le livre comme attribut), sa sculpture étant de loin la plus réaliste, plus humaine que les autres, hiératiques ou trop fortement expressives.

 

Touche finale de beauté

Le phylactère de Jérémie (moderne) fut remonté et  complété (ici en cours de retouche),

Une colonnette fut replacée, une autre refaite,

 

Le nettoyage se finissait

Il ne restait plus qu’à parfaire le travail avec la « retouche », terme issu du jargon des restaurateurs signifiant retouche de couleur, comblement coloré de lacunes suite à la disparition partielle ou totale de la couche picturale. Un terme plus précis, à la fois complet et adapté est celui de « réintégration », c’est-à-dire l’ensemble des opérations (dont la retouche) qui permettent de redonner visuellement une certaine intégrité à l’œuvre, sans pour cela tomber dans l’illusion du mythe du retour à l’original.

Les techniques de la retouche varient suivant les cas, les supports, l’ancienneté des œuvres… On ne retouche pas une peinture de chevalet classique comme une fresque médiévale, un primitif sur panneau de bois comme une sculpture égyptienne.

Pour le Puits de Moïse, comme souvent pour les œuvres médiévales ou antiques, c’est un parti « archéologique » qui fut adopté en assurant seulement une certaine continuité lors de la présence de petites lacunes.

Le matériau de retouche fut d’ailleurs ici très léger : pigments stables liées par de la résine dont on connait la parfaite réversibilité. La technique d’application est proche de l’aquarelle.  Je fus accompagné pour ce travail par l’excellente restauratrice de peinture Frédérique Maurier, au geste sûr et à la retouche délicate.

 

Retour à la  folie

 

La restauration touchait à sa fin. Cela faisait près de trois ans qu’elle avait commencé, et plus de dix que les premières études avaient été lancées. J’avais passé de nombreux mois auprès de ces imposantes sculptures,  des anges qui les surmontent  et qui font l’admiration de tous. Chacune d’entre elle est  œuvre unique et peut se suffire à elle-même, tout en étant la partie indissociable d’un tout. Je les connaissais par cœur, évidemment, le moindre de leurs recoins m’était devenu familier, ce qui est encore le cas aujourd’hui.  

C’était en fin d’après-midi, le soleil baissait. Je faisais des va-et-vient entre l’édicule et mon véhicule pour dégager peu à peu le monument de mon matériel.  Je me dirigeais une fois de plus vers les sculptures quand j’entendis une musique inhabituelle, précisément un chœur d’hommes. J’avais pris l’habitude de mettre de la musique enregistrée pour m’accompagner dans mon travail, mais mon lecteur de CD était déjà dans la voiture ! Nous étions dans un lieu avant tout religieux, j’avais écouté quantité de psaumes, motets, messes et autres, Passions aussi bien sûr, vu le lieu. Mais ce que j’entendais là, ce chœur d’hommes, je ne l’avais pas dans ma collection.

Plus je m’approchais, plus la musique était nette. Je reconnus alors les « quatre petites prières de saint François d'Assise » de Francis Poulenc, que j’avais entendues longtemps auparavant et que j’espérais chanter à nouveau dans un chœur, le jour où je reprendrais le chant. Ce sont quatre petites pièces pour trois voix d’hommes (parfois dédoublées), basse, baryton, ténor. Elles sont remarquables d’intensité et de douceur.

Interloqué, je rentrai dans l’édicule. La musique se finissait,  une voix grave sortit alors de la sculpture représentant Zacharie (le prophète vécut au Vème s. avant J.-C.) :

  • N’aie pas peur, Jean mon fils d’adoption, au prénom si bien choisi par tes parents !  Je sais que ton saint patron est Jean le Baptiste le fils de mon homonyme, Jean au destin merveilleux et tragique à la fois. Nous sommes heureux d’être à nouveau dégagés de tout ce matériel qui nous encombrait depuis tant de temps, et surtout d’être propres, et beaux !  Cela nous a donné envie de chanter. Il est vrai que nous aurions aimé retrouver nos habits de magnificence, mais ne gâchons pas notre plaisir : nos corps de pierre et de couleur pour qui ton équipe et toi ont tant travaillé  respirent tellement mieux, dégagés qu’ils sont aussi de cette épouvantable crasse charbonnée qui venait des locomotives à vapeur de la gare. C’est heureusement fini, avec l’électrisation des voies de chemin de fer.
  •  ??? !!! ???
  • Oui, tu es sans doute étonné que nous chantions une musique du XXème siècle, nous qui avons vécu il y a entre 2500 et 3000 ans, et dont les corps de pierre peinte ont été créés il y a 6 siècles ! Mais n’oublie pas que nous sommes prophètes, que nous prévoyons l’avenir et que nous connaissons déjà les musiques de ton temps (tout n’est pas toujours très bon, d’ailleurs). Notre musique t’a plu, visiblement, nous allons faire un bis, œcuménique cette fois.

Je n’avais pas sorti un mot de ma gorge assez nouée. Je n’étais pas étonné  qu’ils parlent de locomotives, ou même qu'ils chantent. Mais du Poulenc ! Ils entamèrent alors un Bogoroditse Devo, le Je vous salue Marie orthodoxe, composé par Rachmaninov et adapté pour voix d’hommes. Zacharie et Moïse étaient basses, Daniel et David barytons, Isaïe et Jérémie ténors. Que c’était beau ! Mais qu’Isaïe puisse être ténor, c’est cela qui me surprenait le plus ! Zacharie reprit la parole :

  • Tu es sans voix, Jean mon fils, cela ne t’aurait-il donc pas plu ?

Je réussis enfin à sortir quelques mots :

  • Si, bien sûr, c’était très beau. Cela me redonne encore plus envie de chanter. Mais j’ai une question qui me brûle les lèvres : pourquoi donc me parlez-vous seulement maintenant , pourquoi ce petit concert, et pour moi tout seul ? Cela fait tellement longtemps que je m’occupe de vous ! Et puis, musicalement, j’ai l’impression d’une richesse d’harmoniques particulière, inhabituelle, celle qu’on entend parfois dans la musique spectrale.

Ce fut Daniel qui me répondit, de sa douce voix de baryton :

  • Nous sommes assez timides et avons finalement décidé entre nous de ne chanter que pour toi. Tu sauras garder le secret. D’ailleurs, essaye de raconter cela à quiconque, personne ne te croira et on t’enfermera sans doute, au moins par camisole chimique comme pour ton ami au saladier. Tu n’auras pas à faire beaucoup de chemin à faire pour une prise en charge hospitalière immédiate vu tous les psychiatres qu’il y a autour de nous. Quant aux harmoniques, bravo, tu as une bonne oreille ! En fait, ce sont nos chers petits anges, juste au dessus de nous, qui les produisent de leurs très belles voix, si légères, quasi immatérielles…

 

Vraiment, la restauration d’œuvres d’art offre de ces surprises !

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