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23 novembre 2018 5 23 /11 /novembre /2018 07:41

Mémoire chaude et mémoire froide à propos de la crasse, du laser et de son jaune.

 

 

 

Il y a la mémoire chaude, celle de la vie intérieure.

Elle concerne les ressentis, les émotions esthétiques et affectives. On y trouve l’enthousiasme et la rancœur, l’humiliation, les petites lâchetés comme le courage. Mais aussi l’étonnement, l’estime, la reconnaissance, parfois l’admiration, l’amitié.

En font aussi partie les silences, les non-dits, les non-réponses dont on parlera plus loin.

Il y a beaucoup de mémoire chaude chez les restaurateurs.

 

L’autre partie de la mémoire, la froide, est celle qui se trouve dans les documents d’archives et les bibliothèques, hors courriers personnels : les documents comptables, les dossiers d’appels d’offres, les rapports de restauration, les décisions administratives, les publications scientifiques, résultats de longs, sérieux et coûteux travaux, en y incluant les travaux universitaires, même ceux de sciences dites « dures ».

 

 

Dans leur travail de préservation du patrimoine les conservateurs et les scientifiques concernés font plus appel à la partie froide de la mémoire, même si individuellement ils possèdent  autant de mémoire chaude que quiconque.

 

La mémoire chaude se nourrit plus de la froide que l’inverse.

 

Le laser de nettoyage. 1) mémoire froide.

 

On peut trouver dans la littérature quantité d’ouvrages ou d’articles ayant trait à la dégradation et à la restauration des pierres mises en œuvre, sculptées ou non, à la nature physico-chimique de tous les dépôts naturels ou artificiels (aérosols, poussières...) qui les recouvrent peu à peu. Ces dépôts transforment le matériau en surface puis en profondeur, par interaction avec lui. 

On trouve aussi dans les services d’archives ou de documentation patrimoniale un nombre très important de rapports d’intervention ou d’étude de restaurateurs, de DOE (dossier des ouvrages exécutés) des architectes.

 

On a ainsi accès à tout ce qui a trait à la technique du laser exploitée à des fins patrimoniales, comme outil servant à l’analyse mais plus encore au nettoyage. On devrait d’ailleurs plutôt parler des lasers au pluriel. On s’en tiendra ici au singulier par commodité, et, pour être précis, au laser à impulsion (Q-switched Nd-YAg) utilisé ces dernières 25 années sur les chantiers et dans les ateliers.

 

En France l’aventure technique commença en 1992, sous l’impulsion déterminante du Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques (LRMH), avec la construction d’un prototype de chantier, laser de nettoyage bien spécifique rendue possible par l’investissement  financier d’une dizaine de grosses entreprises de restauration de monuments.

 

Ses avantages étaient (et sont encore) incomparables, le plus important pour la conservation du patrimoine étant celui de l’innocuité de l’action du rayon sur le matériau : la pierre calcaire claire en général, mais aussi sur le marbre, le plâtre… en fait à peu près tous les matériaux minéraux clairs. Le très bref rayon (ici infra-rouge) pénètre dans l’encrassement sombre en quelques milliardièmes de seconde, le fait « exploser » puis dès l’apparition de la couleur plus claire sous-jacente « rebondit » et n’agit plus, malgré son énorme puissance. On a donc un autocontrôle réalisé par la technique elle-même, pourvu que l’énergie moyenne choisie soit la bonne.

Ces mots sont bien sûr très imagés quand on connait la complexité tant du phénomène du rayon laser que son impact sur de la matière.

 

 

Un « tour de France du laser » fut organisé en 1993-94 par le LRMH, où des tests furent réalisés sur bon nombre de monuments. Ayant fait part de mon grand intérêt pour cette nouvelle technique, on me confia des essais à réaliser sur le portail sculpté du transept nord de la basilique Saint Denis en juin 1993, puis d’autres essais en octobre sur un contrefort du mur gouttereau sud. On me confia aussi en mars 1994 des tests sur les sculptures des portails de Notre-Dame de Paris.

 

Toujours très intéressé et continuant à le faisant savoir, on me confia alors avec Didier Groux (qui avait fait les essais sur la sculpture extérieure de la cathédrale d’Amiens) une partie de la formation d’autres restaurateurs, qui eut lieu au LRMH.

Plus que passionné je commençais à maîtriser cette technique, et ne rencontrais pas de difficultés à l’employer sur de nombreuses œuvres de musées durant ces années 1993-1994, particulièrement aux musées de Cambrai et de Douai, dont la conservatrice, F. Balimitaine, fit tout pour que ces travaux d’un genre assez particulier se déroulent dans de bonnes conditions.

 

 

Le laser de nettoyage, 2) mémoire chaude

 

« C’est jaune ton truc »

 

A Saint-Denis dès les premières minutes d’utilisation je m’étais rendu compte d’un rendu jaunâtre particulier sur la pierre après nettoyage, pouvant varier d’un ocre léger et assez doux à un orange plus soutenu. Je pouvais, sans trop de forfanterie, considérer que je possédais déjà un œil bien formé à l’aspect d’une pierre altérée ou non et là je ne voyais pas, ne « sentais » pas cette couleur comme celle d’une pierre ayant vieilli en extérieur. C’était une autre couleur.

On sait qu’avec le temps les caractéristiques de l’épiderme d’une pierre en extérieur se sont transformées avec le temps, en raison d’interactions avec l’environnement. On sait aussi que ces transformations modifient la couleur de la surface, aboutissant à celle d’une « patine », terme à consonance plutôt esthétique extrêmement vague dont on dit parfois qu’elle est la marque du temps.

Mais si le mot est vague, la modification de couleur est bien réelle et correspond à des modifications parfaitement étudiées et connues scientifiquement. Mais là c’était différent.

Je fis alors un test sur l’échafaudage dans les minutes qui suivirent : je déposais de l’encrassement réduit en poudre lié par de l’eau sur un fragment de pierre saine, blanche : la surface de celle-ci devint légèrement jaune après l’action du rayon et donc la dispersion de l’encrassement.

Le lendemain je refis le test sur du plâtre propre, l’ayant seulement sali au crayon de graphite : toujours ce léger jaune après passage du rayon, de même que sur du papier crayonné de noir.

 

Un collègue à l’œil sûr vint me voir à Saint Denis pour voir enfin cette fameuse machine. Le nettoyage était à peine commencé qu’il me dit : « c’est jaune ton truc ! ». J’étais rassuré, je n’étais pas le seul à  constater le phénomène.

 

Je fis bien sûr part de mes observations au LRMH, qui m’écouta, mais sans donner suite, niant le phénomène, à mon grand étonnement : comment peut-on, surtout de la part de scientifiques, nier un phénomène aussi visible ? Cette attitude aveugle (le comble à propos d’un phénomène optique) fut-elle consciente ou non ? Il n’était assurément pas bon pour un restaurateur d’émettre des doutes sur le caractère exceptionnel (et presque miraculeux) de cette nouvelle technique.  Et donc de remettre en cause un vaste programme de recherche.  De quoi me mêlais-je donc, moi le restaurateur ?

 

Non seulement cette technique avancée m’intéressait beaucoup, en raison sans doute de mes connaissances scientifiques de base acquises en prépa, mais je me trouvais de plus confronté à une situation particulière : je souhaitais défendre une technique dont j’appréciais les grands mérites, tout en devant m’opposer sur un point important à un laboratoire d’Etat , moi restaurateur indépendant isolé, sans soutien d’aucune structure.

 

Je fis les mêmes constatations à propos du jaunissement sur un nombre non négligeable d’œuvres de musées (Cambrai, Dijon, Douai). Cette coloration jaune apparaissait autant sur les sculptures en pierre ayant vieilli en extérieur que sur celles simplement salies par la poussière de musée. Il en était de même avec les plâtres simplement crasseux qui devinrent après nettoyage pourvus d’une douce couleur ivoire.  

Cela commençait à devenir gênant : utiliser une technique entraînant une coloration étrangère sur tout type de sculpture sale en pierre, marbre ou plâtre n’était pas conforme à un de nos objectifs de conservation-restauration, à savoir ne pas transformer l’aspect d’une œuvre d’art ancienne en raison de nos actes modernes. Ceci en lui imposant une couleur de surface sans rapport avec le matériau d’origine ou son histoire matérielle.

 

Je finis (en mars 1994) par faire un courrier très détaillé et descriptif à la direction du LRMH, avec copie à la direction du Service de Restauration des musées de France. (Ce courrier est reproduit en annexe à la fin de la thèse de doctorat sur ce sujet du jaunissement, soutenue récemment par M. Godet).

 

25 ans après, j’attends toujours la réponse. Le silence de l’administration, le manque de prise au sérieux d’une telle alerte eurent deux conséquences néfastes : un sentiment d’humiliation chez moi par manque de reconnaissance professionnelle, la non prise en compte du phénomène d’un point de vue scientifique et la perte d’une dizaine d’années de recherche dans ce sens.

 

 

 

 

 

Je mets le paquet

 

Je compris que, quoique je fasse, je ne serais pas écouté. Je voyais bien autour de moi que beaucoup (restaurateurs comme conservateurs ou même architectes) s’accordaient pour constater ce jaunissement, et pourtant rien ne se passait au LRMH durant ces années 1990.

 

Les connaissances scientifiques de base acquises dans ma jeunesse pouvaient m’aider, au moins dans la familiarité des concepts et de la description des phénomènes physiques : par le biais d’équivalences je m’inscrivis à une formation spécifique sur le laser à l’Institut d’Optique (à Palaiseau). J’eus droit à une semaine d’équations, de formules et de schémas. Je me retrouvais dans une école d’ingénieurs, 20 ans après mon départ volontaire et rapide de Centrale Lille. C’était étrange.

Cela ne fut pas très utile pour mon métier de restaurateur, mais j’avais atteint mon objectif qui était celui d’une familiarisation avec le phénomène physique du laser et son vocabulaire.

 

Le premier congrès LACONA, spécifiquement consacré à l’utilisation du LAser pour la CONservation d’œuvres d’Art, eut lieu en 1995 en Crête, à Héraklion. Je m'y rendis comme participant  non intervenant : la perspective de lier le travail avec la visite d’Athènes et de Cnossos était trop alléchante.

 

S’il n’y avait aucun restaurateur français, j’y rencontrai par contre l’ensemble des scientifiques du LRMH ! Avec qui j’avais et j’ai encore des liens professionnels très corrects et  très courtois. Quelle ne fut pas ma surprise quand j’appris que ces scientifiques (pétrographe, microbiologiste..) n’avaient pas reçu de formation théorique sur le laser semblable à celle que j’avais eue à Palaiseau ! C’était le monde à l’envers. Mon opinion sur le jaunissement n’était pas plus prise en compte pour cela.

Quelques années passèrent sans changement notable. Je continuais à utiliser cette technique, la promouvoir même : j’avais désormais (en 1999) en charge son enseignement et son apprentissage au Département restaurateurs de l’INP (cela jusqu’en 2011). Je montrais surtout aux étudiants la multiplicité des situations, parmi lesquelles le phénomène du jaunissement, paramètre à prendre en compte en toute connaissance de cause parmi beaucoup d’autres.

Il en était de même pour les surfaces recouvertes de polychromie, qui, suivant leur nature et le diagnostic une fois établi, pouvaient ou non être nettoyées avec le laser (à très faible énergie). Le plus souvent non, d’ailleurs. J’y reviendrai par la suite dans ce blog.

 

Au congrès LACONA IV de Paris (2001, publié en 2003), je n’hésitais pas à me fendre d’un poster exposant mon point de vue.

J’écrivis aussi à l’occasion de ce congrès un article «  Is there specific laser esthetic ? » à propos de l’acceptation esthétique de cette teinte jaune induite par la technique.

Pour appuyer encore plus mes observations, j’avais déjà écrit un article à propos du nettoyage des plâtres par laser (publié en 2001), où la coloration jaune induite et artificielle est encore plus évidente.

 

 

Le balancier redescend, et remonte de l’autre côté

 

Mais les choses commençaient à bouger : de plus en plus de personnes (architectes, conservateurs, et bien sûr restaurateurs) percevaient cette réalité bien problématique. Ils ne souhaitaient plus utiliser le laser et revenaient à l'ancienne technique de la microabrasion (appelée abusivement microgommage), bien plus nocive pour la pierre, mais qui ne provoque pas de couleur artificielle.

 

Il faut dire que l’on avait parfois des résultats absurdes, que je montrais aux étudiants dès 1999 : sur un même portail on pouvait avoir (et on a encore) une trichromie artificielle, résultat de trois techniques différentes, comme à Amiens : façade (et statuaire extérieure, voir photo) plutôt blanche et froide obtenue par lessivage et microabrasion de l’épiderme des parements (seule technique économiquement possible), statuaire intérieure (voir photo) à la couleur jaune/orangé due à la technique du laser, visages gris et assez illisible car à peine nettoyés par microabrasion en raison de traces de polychromie (et pour cela impossible à nettoyer par laser). 

Sur la photo, la différence de couleur sur la statuaire est donc due à des techniques de nettoyage différentes, et non à d'autres facteurs (nature de pierre...)

 

La non-utilisation du laser dans les années 2000 allait correspondre à un mouvement de balancier inévitable, qui aurait pu être évité si l’acceptation de cette coloration induite avait faite dès le départ. Il est possible que ma ténacité à ne pas occulter ce phénomène du jaunissement et à en parler eut une petite influence.

 

 

Rééquilibrage et rancoeur

 

Le LRMH, si réticent au départ, aborda cette problématique juste au moment où les professionnels de la restauration commençaient à refuser la technique. C’était donc absurde. Ce fut la rigoureuse V. Vergès-Belmin du LRMH qui, au congrès LACONA IV de Paris (2001), rédigea un article sur la réalité ou le mythe du jaunissement, commençant à pencher pour la première solution. Ce fut elle qui m’encouragea à exposer mon opinion dans un article pour le même congrès sur l’esthétique induite par ce jaunissement. Ce fut enfin elle qui depuis encouragea les recherches pour aboutir à une excellente thèse  sur le sujet, récemment soutenue par M. Godet. On sait désormais bien plus de quoi il retourne scientifiquement.

Il aura fallu 25 ans !

 

Mais tenace est ma rancœur, à mon corps défendant.  

 

Il reste de cette histoire qu’un phénomène, si évident soit-il mais constaté par un restaurateur ne vaut rien face à la Vérité énoncée par un « laboratoire », d’Etat qui plus est.

 

Cette négation eut aussi quelques petites conséquences personnelles malheureuses dont la suivante est anecdotique mais révélatrice.

Au début des années 2000 arriva à la filière sculpture du C2RMF C. Bobinotte, conservateur prétentieux, autoritaire, à l’intelligence technocratique, qui n’avait évidemment aucune expérience dans cette technique du laser. Personne de pouvoir il croyait ainsi détenir le savoir, et s’en tenait à l’opinion toute faite, « institutionnelle », comme quoi le jaune laser n’existait pas. C’est ce qu’il écrivit bêtement dans un article toujours pour le même congrès LACONA de Paris, se réclamant de V. Verges-Belmin qui commençait justement à dire le contraire. C’était ridicule.

 

C. Bobinotte m’obligea à louer un laser (à grands frais) pour un nettoyage de plâtre  dans un musée du nord. Je lui parlai du jaunissement, de mon expérience,  mais rien n’y fit.

  • Non, Jean, je vous demande (ordonne) d’essayer.

Dit-il d’un ton péremptoire n’acceptant aucune contradiction.

M’opposer à cette personne influente, refuser m’exposait à de graves problèmes de travail pour les années suivantes. Une fois le laser installé devant la sculpture en  plâtre, blanche à l'origine et fort sale à ce moment-là, je fis mes petits essais et les montrai au conservateur du musée en question, B. Beaunénez, qui vit tout de suite le jaunissement et refusa évidemment que j’utilise cette technique.

C. Bobinotte, j’ai bien sûr engagé des gros frais (la location d’un laser est très coûteuse) et du temps pour cette opération inutile, mais ce n’est pas le plus important. J’aimerais surtout que vous vous excusiez ou au moins regrettiez votre autorité si mal employée. N’ayez crainte, vous ne décherriez pas de votre piédestal de conservateur général directeur de grand établissement !

 

Toute l’expérience acquise depuis une dizaine d’années avait été balayée d’un revers de main.  Mépris pour mon métier, ignorance de mon expérience, humiliation personnelle par l’obligation de courber l’échine.

La mémoire froide ignore ces choses-là, et la mémoire chaude ne contient pas que des bons souvenirs.

Mais, bon, c’est monnaie courante chez les restaurateurs de collections publiques.

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1 novembre 2018 4 01 /11 /novembre /2018 14:46

1993  Un conservateur de musée en pyjama

 

Souvent  je me suis levé de très bonne heure.

On se lève tôt quand on est petit scout pendant les camps et enfant de chœur fils de militaire, quand on est employé d’usine ou chauffeur-livreur dans le Paris du petit matin, ou encore quand on est  tailleur de pierre pour profiter de la lumière du jour, encore plus en hiver qu'en été. 

On se lève tôt aussi quand on est restaurateur pour éviter les bouchons parisiens au départ d'une longue route quand on va travailler en « province ».

Je n’étais pas parti de chez moi ce matin-là car j’avais dormi à l’hôtel, dans le centre-ville de Lille. J’y étais depuis plusieurs jours pour des restaurations au musée des Beaux-Arts. On était pourtant samedi, mais j’étais resté sur place. Quelques heures de travail me restaient à faire, je ne souhaitais pas reprendre la route la semaine suivante pour un bref aller-retour Paris-Lille. Cela me permettrait de rester un jour tranquille en semaine à la maison, pour la famille, l’administration ou la rédaction des rapports.

Le musée était désormais fermé en permanence, en raison de sa complète rénovation,  et personne n’y travaillait le weekend. Mais le conservateur, A. Brugnon de la Vergée, m’avait permis l’accès aux salles, à ma grande surprise. Il suffisait simplement que je me présente à l’entrée de la conservation. Lui-même viendrait m’ouvrir à partir de 8 heures. Il s’en chargerait puisque son logement de fonction se trouvait juste au-dessus de l’entrée.

 

A  8 heures précises je me présentais à la porte et sonnais : à mon étonnement amusé je vis A. Brugnon de la Vergée en pyjama, flanqué de son fils aîné (d’une dizaine d’années) lui aussi en pyjama. Ils avaient des pyjamas à larges carreaux, plutôt dans les bleus-gris. On se souvient de ces choses-là.

Le musée était donc fermé, mais les collections étaient encore dans le bâtiment avant d’être transférées dans des réserves temporaires le temps des travaux.

C’est ainsi que pour arriver à la sculpture que j’étais en train de restaurer nous avons traversé de grandes et nombreuses salles, lui en pyjama et en toute simplicité, son fils de même et moi tout habillé. On passait devant toutes sortes d’œuvres emballées ou prêtes à l’être, ou encore devant des tableaux sur chevalets en cours de restauration, pour des bichonnages ou des contrôles avant emballage. Le fis du conservateur, très vif, ne s’était pas gêné pour emprunter un plateau à roulettes de transporteur/déménageur, s’en servir de skate-board et foncer entre un Goya et un Corot, pour s’arrêter pile (car il était adroit) au pied d’un grand Van Dyck.

Cet homme de très bonne famille, qui ne se formalisait donc pas de son apparence, se préoccupait aussi du moral des restaurateurs. Il m’avait ainsi gentiment invité un soir à sa table avec son prédécesseur à la tête du musée, A. Les Halles, qui était de passage avec sa femme. Je n’étais pas fâché de sortir de ma routine solitaire des soirées lilloises. Un peu maladroitement il avait commenté ma présence en disant à ses autres invités qu’il fallait « prendre soin » des restaurateurs, ceci  sur un ton légèrement condescendant, comme s’il s’agissait du «petit personnel » qu’on invite à sa table le temps d’une soirée, histoire de le récompenser de ses bons et loyaux services. La conversation n’était guère intéressante pour moi, car, comme pour les vicomtes qui ne parlent entre eux que d’histoires de vicomtes, la conversation ne traitait guère que des histoires de conservateur.

 

C’était aussi le roi de l’entourloupe, disant avec une grande facilité noir à l’un et blanc à l’autre, ce qui était évidemment source de gros malentendus et m’a valu quelques inimitiés tenaces de la part de  quelques consœurs qui n’avaient pas compris l’ambiguïté du personnage.

 

Mais il avait sauté du lit et n’avait pas pris le temps de s’habiller pour me permettre de travailler au plus vite un samedi matin. Je lui en suis donc encore très reconnaissant.

 

 

Dans ce musée j’aurai restauré 51 sculptures de 1990 à 1998, datant du 14ème au 19ème siècle. J’aurai vu de près ce que des artistes locaux ou nationaux avaient mis de meilleur chez eux pour faire du beau, du savant, du dévot ou du moral (ou tout à la fois). Parmi ces œuvres il y avait entre autres un Bonaparte et une Jeanne d’Arc, un chanteur arabe, le P’tit Quinquin, un hermaphrodite, deux Vierges à l’enfant, plusieurs anges ou encore un Hérode dans le magnifique relief de Donatello.

 

Ces œuvres avaient traversé le temps, parfois dans des conditions difficiles. Pour certaines d’entre elles, reléguées longtemps dans les sous-sols (car on ne jette pas dans les musées), elles avaient souffert d’une brusque montée des eaux de la Deûle, dont on savait pourtant qu’elle pouvait inonder les caves en cas de légère crue. D’où l’aspect étonnant de certaines œuvres, comme  « La France » de David d’Angers, qui avait eu la tête partiellement sous l’eau. Ce relief en plâtre avait été posé dans cette cave à l’envers et verticalement à même le sol. En plus de quelques éclats on voyait l’action de l’eau et son niveau au plus fort de la crue : elle avait dissous complètement sur cette zone la saleté accumulée au cours du temps. Elle avait aussi dissous quelques fractions de millimètre du plâtre, malheureusement. Si cette altération irréversible était visible de près elle n'était pas assez forte pour que cela soit gênant de loin (après restauration la frontière est encore légèrement visible au dessus de l'épaule gauche).

 

 

 

Je connais bien l’autoroute A1 : dans les années 1990 tous les musées du Nord ou presque étaient en rénovation. C’est ainsi que je passai de très longs moments à Cambrai, Douai, Lille puis Valenciennes, Roubaix... La rénovation des bâtiments entraînait le déplacement des collections. Les lieux d’accueil temporaires correspondaient aux capacités et au niveau d’investissement de la municipalité concernée. A Lille les œuvres en transit allaient être stockées dans les grands hangars des services techniques, ou dans d’autres musées ayant encore un peu de place comme le musée de l’Hospice Comtesse.

 

Mais la ville de Valenciennes n’avait pas les moyens de celle de Lille, loin de là ! Le seul endroit que la ville avait trouvé était un parking souterrain désaffecté au milieu d’une cité. Pour certains matériaux constitutifs d’œuvres d’art comme les matériaux minéraux, ce n’est pas tant le taux d’humidité qui est néfaste que les variations de ce taux. Mais ce n’est pas évidemment pas le cas pour les matériaux organiques présents majoritairement dans les toiles, les panneaux peints, les textiles ou le mobilier.... surtout quand cette humidité est confinée.

Pour atténuer ces désagréments climatiques les services techniques municipaux avaient entouré la zone du deuxième sous-sol réservée aux collections par de grands films plastique verticaux. Ils étaient colmatés au niveau du sol et du plafond, avec installation d’une climatisation déhumidificatrice pour stabiliser le climat dans cette bulle. Ce qui devait arriver arriva, la climatisation tomba en panne sans que l’on s’en aperçoive immédiatement : en quelques jours une bonne partie des œuvres commença à être recouverte de moisissures.

On n’imagine pas toujours le passé parfois difficile d'une œuvre d’art, quand on la voit sous un bel éclairage, accrochée proprette à sa cimaise ou posée sur un socle repeint dans un musée rénové.

 

Je n’étais pas concerné : les sculptures en marbre que je devais nettoyer n’étaient pas dans la bulle, mais avaient été placées en dehors, toujours au deuxième sous-sol, dans une partie mal éclairée et assez glauque. La cahute du gardien, maître-chien,  n’était pas loin, et la niche du chien plus près encore.

Ce dernier, mal élevé, avait choisi comme urinoir un endroit non loin d’une grande sculpture en marbre que je devais nettoyer ; l’œuvre était restée sur deux chevrons de bois, à même le sol. Elle n'était pas déplaçable, le trans-palette était parti avec les transporteurs. 

Toutes les mauvaises conditions étaient réunies : une humidité bien froide (on était en hiver), une odeur nauséabonde, le travail à même le sol, parfois couché sur le dos sur des cartons pour accéder aux fonds de la partie basse de la sculpture. La restauration n’était qu’un nettoyage de surface légèrement encrassée, sur un marbre en bon état. Le contexte ne permettait pas d’utiliser une autre technique que l’application d’un produit adéquat, avec frottement à la brosse à dent et rinçage à l’eau déminéralisée (dont il fallait gérer la récupération).

Mauvais souvenir.

 

J’avais toujours autant de travail, qui se déroulait la plupart du temps dans des conditions bien meilleures qu’à Valenciennes. C’était ainsi pour les musées de Cambrai (42 œuvres restaurées sur 7 ans) ou de Douai (49 œuvres sur 10 ans), où mes conditions de travail étaient correctes grâce à l’attention que portaient à cette question les conservatrices, F. Ficathe et F. Balimitaine, qui avaient toute confiance dans mes interventions. Je regardais l’avenir avec sérénité.

Cette grosse charge de travail qui perdurait m’étonnait,  car de nouveaux diplômés sortaient de formation et auraient dû réguler un peu le « marché ». Il n’en était rien. La raison principale en était que France Bourguignoud, chef du service de restauration des musées de France, ne voulait faire travailler que les têtes connues (dont par chance je faisais partie). C’était absurde et injuste : les jeunes diplômés piaffaient d’impatience et vivaient difficilement leur entrée dans la vie active, en manque de travail, alors qu’étaient sollicités quelques restaurateurs plus anciens qui n’avaient pas fini leurs mémoires ni passé leur soutenances pour leur diplômes,  tels H. Mamarseille et D. Accord.

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Il est toujours satisfaisant de rendre une œuvre en état correct après qu’elle a été délaissée, parfois abandonnée (par les fluctuations du goût) au point de devenir parfois  insignifiante.  L’intérêt du travail s’émoussait cependant : les tâches étaient techniquement souvent similaires sinon identiques, même si le caractère unique de chaque œuvre et souvent sa beauté  me séduisaient toujours. Ces œuvres d'art du passé continuaient à occuper une place considérable pour moi, restreinte parfois dans l'espace, mais toujours prolongée sans mesure dans le Temps ainsi retrouvé. 

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25 octobre 2018 4 25 /10 /octobre /2018 09:17

1988 - 1992 Une génération bénie de restaurateurs

 

 

Autoroute A1, entre Amiens et Paris.

C’est l’automne, il pleut depuis le début de la journée, je rentre à la maison après une journée de travail au musée de Picardie.

L’autoroute est détrempée, les projections provoquées par les camions rendent la visibilité très réduite. Avec ma vieille Renault 6 je mets un temps trop long à les dépasser, tout petit que je suis sur la troisième file. Je double un camion qui double lui-même un autre camion, tandis qu’une grosse cylindrée me colle à l’arrière et me stresse avec ses appels de phares impatients.

Je ne vois presque rien devant moi, je sais qu’il faut ne pas dévier de ma file et rester parallèle au camion que je double. Je n’aime pas ce genre de situation.

Je me décide : je vais faire l’investissement d’un plus gros modèle, plus puissant pour la vitesse, plus récent pour le confort, plus grand pour la famille tout autant que pour le matériel.

Je peux me le permettre : mon « carnet de commandes » est plein, plus que plein. Et peu importe si ma trésorerie est encore bien vide.

 

Deux gros travaux pour commencer

 

J’avais eu auparavant deux grosses commandes à mon retour d’Italie.

Elles provenaient du récent musée de la Renaissance, créé en 1977 au château d’Ecouen à une vingtaine de kilomètres au nord de Paris.

J’avais pu me mettre très vite à ces longues restaurations. Le directeur du musée, A. E.-Mecklenburg, me connaissait bien : il avait été membre de mon jury de diplôme, en plus d’avoir présenté ma candidature à la Villa Médicis. Il clamait haut et fort en public qu’un restaurateur doit être docile et obéissant, alors que sur le terrain il nous faisait confiance  dans nos approches, tant techniques qu'esthétiques ou déontologiques et ne nous imposait rien.

 

Ces restaurations étaient complexes et  concernaient tout autant l’état de la structure que celui de la surface très altérée des pierres calcaires les composant.

 

La «  cheminée de Troyes », appelée ainsi en raison de son origine géographique, avait été récupérée courant XIXème et provenait des collections du musée de Cluny qui possédait alors non seulement des œuvres médiévales mais aussi une importante collection Renaissance. Le décor de cette cheminée savamment sculptée était loin d’être intégralement conservé, en raison de l’incendie du bâtiment où elle se trouvait à Troyes, sans doute au cours du grand incendie de 1524 qui détruisit une grande partie de  cette ville. En raison de la chaleur, la couleur de l’épiderme de la pierre en était devenue d’un jaune rosé des plus doux…

Du point de vue de sa restauration, en plus des problèmes techniques habituels de nettoyage et de remontage, l’intérêt de l’intervention consista surtout dans le traitement du comblement des manques.

Ceux-ci furent remodelés quand la continuité de la sculpture le permettait, en respectant le principe patrimonial qui souhaite que la restauration s’arrête là où commence l’hypothèse. Les trop gros manques furent laissés tels quels et remplacés par un fond plan, patiné de la couleur environnante, afin de fournir une unité visuelle correcte à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales. Je mettais ainsi en application la charte de Venise (1964) sur lequel notre déontologie de la restauration s’appuie en grande partie, à savoir qu’une reconstitution (ici de volume) de partie manquante n’est envisageable que lorsqu’elle n’est pas sujette à interprétation. Nous étions bien loin de la fameuse formule de Viollet-le-Duc, qu’il appliqua pour les monuments : « restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné »

 

L’autre restauration était du même acabit. Le musée de Cluny possédait aussi deux sculptures de la Renaissance attribuées à Jean Goujon qui provenaient de l’ancienne porte Saint Antoine, imposant  édifice proche de la Bastille et démoli en 1778.

 

 

Un remontage imaginaire du fronton avait été réalisé début XIXème dans les jardins du musée, intégrant ces deux sculptures de fronton dans un ensemble complètement recréé pour l’occasion. Il comportait des éléments aquatiques inventés, les sculptures originales étant des allégories de fleuve ou de rivière (d’où parfois leur appellation de « La Seine » et « La Marne »).

Paradoxalement, en 1988, les sculptures Renaissance étaient en moins mauvais état que le reste du remontage moderne, de trois siècles plus récent…. Essentiellement en raison de la mauvaise qualité de la pierre moderne et du montage avec des joints au plâtre.

 

 

Le travail consista en une étude préalable, le démontage de l’ensemble, le transport de Paris à Ecouen, puis un remontage n’intégrant que les sculptures de Jean Goujon : le conservateur avait en effet estimé (et j’étais bien d’accord) que l’ensemble XIXème ne présentait que bien peu d’intérêt.

 

Il pleut  des commandes

 

Moins d’un an après mon retour de Rome j’avais été contacté par le service de restauration de l’IGMCC (Inspection Générale des musées classés et contrôlés, alors appelés « musées de province » – ce service allait devenir le Service de Restauration des Musées de France et fera partie par la suite du C2RMF, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France) afin d’effectuer des devis de restaurations pour les  « musées de province » en cours de rénovation, ou en projet immédiat. La demande était importante en quantité (sous forme de commandes publiques) alors que l’offre (les restaurateurs) était bien faible, dans la mesure où nous étions peu nombreux à posséder les critères arbitrairement définis par la chef du Service, F. Bourguignoud.

 

 

Le temps passant, je devins un des « piliers » de ce service de restauration à vocation nationale. Nous étions ainsi quelques-uns par discipline (peinture, sculpture, arts graphiques, mobilier, céramique…) à ne travailler que dans ce cadre. Tous travailleurs indépendants, sans mise en concurrence, nous étions en fait salariés déguisés, C’était un grand mystère pour moi que ce favoritisme. La demande de devis émanait de la chef de ce service, non des musées concernés. Le tarif était toujours le même : 2000 francs HT / jour  pour les travaux dans les ateliers de Versailles (situés dans les Petites Ecuries en face du château), 3000 francs HT/jour pour toute intervention située en province, près ou loin de Paris.

Ces dispositions forfaitaires (tacites) de tarif unique, très simples, étaient évidemment acceptées par les restaurateurs, en raison de leur correct niveau de rémunération.

 

A nous à nous débrouiller avec ce tarif, qui englobait le revenu personnel, les lourdes charges sociales plus tous les frais annexes (transport, nourriture, éventuellement hébergement) ainsi que les investissements indispensables en début d’activité. Indépendants, nous avions curieusement des statuts différents, non imposés par l’administration : soit profession libérale, soit artisan, soit artiste alors que nous faisions exactement le même travail. Cette pluralité de possibilités statutaires me laissait rêveur.

Assez distant de ces questions, j’avais opté pragmatiquement pour la deuxième solution, celle du statut d’artisan, uniquement en raison de dispositions fiscales alors plus avantageuses. Je m’aperçus plus tard que c’était en contradiction avec ma vision de ce nouveau métier qu’est la restauration d’œuvres du patrimoine, dont les obligations de moyens et les contraintes déontologiques sont tout aussi importantes que les obligations de résultat, sinon plus. Cette activité professionnelle - où la part de diagnostic n’est pas négligeable - correspond donc plutôt à un statut de profession libérale. Mais j’avais du travail, beaucoup de travail, et à près de 40 ans pouvais enfin gagner normalement ma vie, tout en faisant une activité passionnante. Ces questions idéologiques ne m’intéressaient pas alors.

 

Nous formions une génération bénie : tous mes collègues étaient passionnés par leur métier, et  cela dès leur formation préalable (qui s’étaient déroulée sous des formes très variées), en général avant les études proprement dites de restaurateur. Aucun besoin de chercher du travail pour la plupart des diplômés de l’IFROA, il arrivait comme par magie. Les revenus étaient corrects et permettaient sans problème les investissements matériels comme intellectuels. Notre capital de savoirs et de savoir faire s’accroissait rapidement grâce à la quantité, la qualité et la variété des commandes. Nous avions de plus appris et mettions en application si nécessaire le principe  « du savoir ne pas faire », mélange de respect face à une œuvre du passé et d’humilité de nos propres interventions, même si ce « savoir ne pas faire » n’est évidemment pas très intéressant économiquement.

 

Intervenant sur des sculptures, objets par nature en trois dimensions, souvent fragiles et pondéreuses, j’étais bien plus amené à me déplacer que l’inverse, à savoir le transport des œuvres pour restauration dans les ateliers d’Etat à Versailles. Ces locaux n’étaient de tout façon pas adaptés pour accueillir des sculptures, contrairement aux tableaux ou aux œuvres graphiques.

 

Polymetis comme Ulysse

 

En plus d’être d’incessants voyageurs, nous avions en commun avec Ulysse d’exploiter au mieux cette forme d’intelligence pratique personnifiée par Mètis, la première épouse de Zeus, enceinte de lui puis avalée toujours par lui par crainte de la naissance d’un fils rebelle. Mais on sait que ce fut Athéna qui naquit, et de façon bien particulière en sortant tout armée du crâne du dieu grâce à un solide coup de marteau d’Héphaïstos.  

Cette forme d’intelligence qu’est la mètis fut en fait refoulée dès le Ve siècle avant J.-C. par les philosophes (1) : « Le savoir conjectural et la connaissance oblique des habiles et des prudents furent rejetés du côté du non-savoir »... Ainsi Platon « condamne sans ambiguïté les savoirs et techniques qui relèvent de l’intelligence stochastique » et relègue tout ce qui relève du manuel vers les régions les plus basses de la société.

 

Quinze ans plus tôt j’avais délibérément choisi un métier manuel, la taille de pierre, et vivais depuis l’opposition entre le manuel que j’étais devenu et les études plus abstraites que j’avais entamées après le baccalauréat. Cette dualité esprit/matière, intellectuel/manuel me préoccupait beaucoup.

 

 

Certes, la nature des « nouveaux » restaurateurs n’était guère héroïque contrairement à celle d’Ulysse, mais ce que nous avions acquis  petit à petit au cours de notre longue formation et de nos diverses expériences personnelles nous permettait de résoudre nombre de questions, celles que savaient résoudre les savoirs divins dans la Grèce antique :  les savoirs techniques d’Héphaïstos, les dispositions commerciales et relationnelles d’Hermès, et même celles intellectuelles d’Athena, si l’on prend les différentes composantes de cette intelligence.

Comme le polymetis Ulysse nous devions nous adapter à des situations toujours renouvelées, aux  problématiques essentiellement concrètes. Cela représentait l’essence même de notre travail, qui concerne la matérialité de l’œuvre d’art, son processus technique de création en même temps que l’intégration des raisons de son origine et de son histoire jusqu’à nous.

 

Et comme Ulysse nous étions heureux de retrouver notre foyer après nos longs déplacements solitaires… Car Nausicaa, et même Circé n’existent que dans l’Odyssée, pas dans les hôtels forcément modestes où nous étions bien contraints de dormir, loin de chez nous.

 

De beaux noms

 

On me confiait des œuvres créées par les plus grands artistes du passé : Donatello, Pompon, Rodin, Claudel, Giambologna…. Les noms étaient prestigieux, alors que le travail de restauration  pouvait être routinier comme complexe.

Avec sa connaissance des matériaux, des processus techniques et artistiques de création en plus des informations fournies par l'histoire de l'art la restauration permet d'instaurer une grande intimité avec les artistes, même ceux dont on ne sait rien ou presque car trop anciens. Selon moi cette proximité est bien plus  directe et profonde que celle abstraite qu'on peut avoir à l’aide d’études plus intellectuelles aboutissant aux métiers du patrimoine tels que celui de conservateur ou d'historien de l’art. 

J’avais aussi à restaurer nombre d’œuvres d’artistes moins connus, de toutes époques, « de l’Antiquité à nos jours », ce qui me permettait aussi d’améliorer mes connaissances en histoire de l’art. Ces œuvres se trouvaient (et se trouvent encore) dans les musées d’Amiens, de Cambrai, de Dijon, de Nogent-sur-Seine, de Lille, de Douai…  

 

Une nouvelle donne

 

Et puis, un jour, F. Bourguignoud, chef du service de restauration, nous annonça qu’elle serait secondée par un jeune conservateur (spécialiste de peinture XIXe).

 V. Peaumadouce était  doté d’un merveilleux rire éclatant. Souvenir impérissable : ce fut avec lui que je découvris des sculptures en marbre XIXe délaissées dans une remise servant de poulailler (avec paille et poules) à l’arrière du musée de Nogent-le-Rotrou, où il faut prendre garde  à ne pas perdre sa montre, pour qui connait la solution de la deuxième devinette de la célèbre charade.

Père Dumas, montre à nos gens l’heure au trou !

Peu de temps après eut lieu au service de restauration des musées de France la  création de « filières » (peinture, sculpture, arts graphiques…), avec pour chacune d’elle un poste de fonctionnaire chargé plus précisément des dossiers spécifiques au domaine. On pourrait d’abord penser que ces postes reviendraient à des restaurateurs, puisqu’il s’agissait de restauration. N’avait-on pas formé et ne formait on pas des spécialistes de haut niveau, qui auraient pu remplir ces missions ?

Mais il n’était pas question de confier ce genre de travail à des prestataires, d’autant plus que l’époque n’était plus à la création d’un nouveau corps de fonctionnaires.

Ces postes étaient réservés à des conservateurs du patrimoine. On pourrait penser là aussi qu’une saine gestion des ressources humaines de la Direction des Musées de France la conduirait à y placer des conservateurs spécialistes du domaine en question, connaisseurs également des problématiques particulières de conservation-restauration….

Il ne fallait pas rêver, là non plus.

En sculpture nous vîmes d’abord arriver la sympathique et drôle V. Toujour, antiquisante, « perdrix de l’année » comme les restaurateurs disaient entre eux, expression un peu méchante, mais usuelle envers tout fraîchement diplômé(e). Elle fut remplacée l’année d’après par E. Petitpatapan, dix-neuvièmiste, tout aussi sympathique.

 

Le plus cocasse fut la recommandation que me fit F. Bourguignoud, à l’arrivée de la jeune V. Toujour :

  • Jean, je compte sur vous pour la former !

Car nous nous appelions par nos prénoms, comme dans une « grande famille ».

Je devais donc (avec quelques-uns de mes collègues) former un conservateur du patrimoine, mais à quoi ?

Je  compris assez vite : il fallait que je satisfasse la demande habituelle du conservateur face aux problèmes posés par une œuvre en mauvais état,  qu’on peut résumer ainsi :  

  • Jean, dites-moi ce qu’il faut que je vous dise de faire ! 

 

 

(1) Detienne et Vernant, Les ruses de l’intelligence, la mètis des grecs, Champs, Flammarion

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3 mai 2018 4 03 /05 /mai /2018 20:16

1987 Villa Médicis (3) - La colonne Trajane  et un peu d'Oulipo

 

Hors du temps

 

Plusieurs fois par jour j’allais voir l’incroyable beauté qui m’entourait. C’était devenu immuable : je sortais de mon atelier avec vue immédiate sur la façade intérieure de la Villa, le piazzale et les pins, longeais le mur de la terrasse jusqu’à l’escalier au début de l’allée des orangers, le gravissais puis revenais en arrière mais un niveau au-dessus, sur la terrasse, en m’arrêtant juste au-dessus de la loggia de Velasquez.

Le point de vue était presque le même que celui de la porte de  mon atelier, mais de plus haut.

Je voyais de l’autre côté une partie du parc de la Villa Borghèse, avec ses pins magnifiques sous lesquels on imagine les jeux d’enfants si bien décrits musicalement par Respighi.

Et là, je regardais et contemplais, quelques instants ou très longtemps. J’emmagasinais, je capitalisais, je buvais jusqu’à plus soif la beauté de ce lieu afin que dans l’avenir, quand je ne serais plus là, il me suffirait de fermer les yeux pour tout revoir, tout ressentir. Ce qui est encore le cas aujourd’hui.

Je pouvais aussi monter l’escalier abrupt du Belvédère et dominer la Ville, ou traverser le bosco et admirer les magnifiques acanthes,

ou encore aller de l’autre côté du parc jusqu’au carré des Niobides en m’imprégnant de l’odeur du bois résineux des pins se consumant, suite au travail des jardiniers, ou enfin attendre le soir pour écouter sur le piazzale une magnifique interprétation de Daphnis et Chloé de Ravel par P. Boulez et l’Orchestre National. J’en frémis encore. J’espère, je pense que chaque pensionnaire a pu bénéficier comme moi de ces merveilleux instants qui marquent à vie.

 

Quel privilège !

Merci au contribuable.

 

Grande, petite et véridique histoire des  moulages de la colonne Trajane

 

La colonne Trajane est à juste titre le monument sculpté le plus exceptionnel de toute la Rome antique. Erigée au début du IIème siècle en commémoration de la conquête  de la Dacie (l’actuelle Roumanie) par l’empereur Trajan, sa conception, sa réalisation en tambours de marbre parfaitement ajustés puis sculptés en spirale sur 23 niveaux ont provoqué de tout temps l’admiration des visiteurs. L’histoire qu’elle raconte à travers ses reliefs, véritable bande dessinée de près de 200 mètres de long avec plus de 2500 personnages représentés, est celle d’un souverain victorieux et pacificateur. On comprend ainsi l’envie de récupération d’un tel modèle par de puissants princes de l’histoire européenne, surtout les français. Ce sera à travers son moulage partiel sous François 1er, puis son moulage intégral sous Louis XIV et sous Napoléon III, ou alors à travers des répliques transformées (comme la colonne Vendôme pour Napoléon 1er).

Sur le forum de Trajan la colonne était en  fin de restauration lors de mon année à Rome. Je pus ainsi avoir le privilège (encore un) de monter sur l’échafaudage et de voir l’original de très près. D’autant plus que le travail l’exigeait ! C’était pour observer et échanger avec des collègues italiens sur la lente et inéluctable progression  de l’érosion de l’épiderme due  aux intempéries mais aussi à la pollution industrielle et automobile. Il était en effet possible de comparer la surface des reliefs de marbre in situ avec ceux des moulages du XVIIème et celui du XIXème.. Ce ne fut malheureusement que qualitatif mais facile à constater : l’épiderme sculpté du marbre disparait petit à petit de siècle en siècle comme une peau de chagrin…

 

Les reliefs furent donc moulés trois fois : la première fois dans la partie basse de la colonne à la demande du Primatice pour François 1er vers 1540, la deuxième intégralement juste après la création de l’Académie de France à Rome, entre 1667 et 1669, enfin la troisième également intégralement en 1861-1862.

Une petite précision de vocabulaire s’impose, que j’emploierai à partir de maintenant : le moulage est en fait l’opération destinée à reproduire une forme de départ, souvent un  original, même si on a souvent utilisé ce terme pour désigner le résultat matériel. On préfère maintenant appeler tirage l’objet obtenu (à Rome en plâtre), afin d’éviter toute confusion.

On trouve des tirages des reliefs de la colonne un peu partout en Europe, de Stockholm à Leiden (Pays-Bas), de Londres (V&A museum) à Bucarest, de Versailles (Petites Ecuries) à Milan (bibliothèque Ambrosiane), de Saint-Germain-en-Laye (fossés du château) à Rome où la colonne est intégralement reproduite au museo della civiltà romana (photo),

et enfin dans les caves de la Villa Médicis.

 

Certains de ces tirages dispersés en Europe sont correctement documentés, d’autres moins !

Il me fut facile de trouver ( à des fins de comparaison) l’origine des tirages en plâtre de Bucarest, du Museo della civiltà de Rome, du Victoria and Albert Museum, ou de la galvanoplastie des fossés du château de Saint-Germain, leur histoire est récente et connue : ce sont des tirages en plâtre ou bronze faits à partir des creux provenant du moulage de 1861-1862 (surmoulage pour Bucarest)

Peu utile d’aller les voir.

Je n’eus pas de problème non plus pour ceux de Milan : ce sont des restes du moulage du XVIème siècle, commandé par le Primatice. Milan n’était pas loin de Rome pour moi, et l’observation que j’en fis de près m’appris que ces petites plaques sont différentes techniquement des deux campagnes de moulage plus récentes. Ces tirages auraient été récupérés par le sculpteur Leone Leoni (on n’en est pas certain), un des premiers grands collectionneurs modernes qui n’était ni roi ni prince.

 

Je laissais ceux de Leiden et du musée national de Stockholm que je visiterais en fin d’année au cours d’un voyage d’étude qui leur serait consacré, et me consacrais à ceux de la Villa mais aussi brièvement à ceux de Versailles. Ces derniers avaient transité par l’Ecole des Beaux-Arts, après avoir été exposés dans la salle des Cent Suisses (actuelle salle des Cariatides) au Louvre après leur arrivée en France en 1670 (ou plutôt l’arrivée de quelques moules qui ont alors servi à réaliser des tirages en France)

 

Je m’aperçus vite que chacune de ces deux collections, de Versailles et de la Villa M., possédait des tirages de deux catégories, et pouvaient ainsi être scindés technologiquement en deux.

L’une des séries étaient en plâtre épais, non armé, d’une surface légèrement amollie, en raison sans doute d’un plâtre de qualité moyenne et d’une exposition dans des lieux trop longtemps humides. 20 se trouvent à Versailles, une soixantaine à la Villa Médicis, sous forme de plaque entière ou de fragment, suivant des formes relativement rectangulaires ne respectant pas toujours le dessin même du relief dans la découpe de la frise.

L’autre série était de plus faible épaisseur, d’un plâtre au grain plus fin et de meilleure qualité, renforcés (armés dans notre jargon) de grands fers visibles à l’arrière, de section carrée et  forgés industriellement, donc modernes. Les mouleurs appellent poétiquement ces fers des « côtes de vache », car courbés en fonction du volume à armer, rarement rectiligne. Cette technologie était évidemment (pour le spécialiste) récente et datait de la campagne de Napoléon III, tandis que l’autre correspondait au moulage louis-quatorzien. Il y en avait une dizaine dans les caves de la Villa.

 

 

Ainsi pour les quelques 76 plaques entières ou fragmentées de la Villa que j’avais à étudier, je fis facilement la répartition entre ceux du XVIIème siècle et ceux du XIXème. Sur le panneau d’étude que j’ai réalisé pour une visualisation correcte de l’intégralité de la colonne les dessins au trait sont placés de telle sorte que le nord de la colonne soit au milieu du panneau, avec les 23 enroulements en spirale, donc un par niveau ici.  Ces dessins sont tirés de l’ouvrage de S. Reinach (1909), eux même réalisés à partir des planches de Bartoli (1635-1700), graveur ayant pu monter sur l’échafaudage et dessiner intégralement les reliefs pendant la campagne de moulage de 1667-1669. Les tirages conservés à la Villa du XVIIème sont en rouge et bleu, ceux du XIXème en rose. Leur quantité en surface est bien faible en comparaison de la surface sculptée totale et sur les 300 plaques du départ beaucoup se sont égarées en route….

 

 

En trois  endroits seulement on a un chevauchement entre une plaque XVIIème et une plaque XIXème.

 

 

Quel périple !

 

Pour les tirages datant de l’Académie, réalisés entre 1667 et 1669, il me fut possible de retracer les conditions de leur histoire mouvementée.

On peut difficilement imaginer l’importance du chantier pour la réalisation de cette commande. On peut aussi se poser la question de l’entreposage une fois les tirages en plâtre effectués. Que faire de près de 300 plaques de dimensions moyennes de 80 cm de large, 1,20 m de haut, 8 cm d’épaisseur, légèrement convexes  et pesant en moyenne 40 kg ?

Pour les entreposer on imagine mal un grand bâtiment où la frise aurait été représentée comme celle de 1861-1862 l’est au museo della civiltà romana . On en aurait trouvé mention dans les archives.

 

Les seules indications intéressantes qu’on y trouve nous apprennent que quelques plaques furent exposées à des fins d’étude (ou d’admiration), tandis que les autres étaient entassées les unes contre les autres en attendant des jours meilleurs.

Car l’Académie se déplaçait sans cesse : de la maison sur le Janicule au palais Caffarelli en 1673, puis au palais Capranica en 1684.  La place manquait toujours cruellement et les inventaires ne détaillent malheureusement pas assez les plâtres exposés ou transportés, sauf pour les plus importants.

On aurait pu penser que la place devint suffisante au Palais Mancini (déménagement en 1725) pour présenter la frise en totalité. En fait il n’en fut rien, puisqu’on a là aussi des mentions de manque de place autant pour les tirages que pour les ateliers de pensionnaires, dont certains sont obligés de s’installer « en ville » ! Quant aux tirages de la colonne Trajane, ils sont tellement les uns sur les autres qu’un directeur de l’Académie du milieu du XVIIIème siècle (le peintre Natoire) en fait placer un certain nombre dans sa maison de campagne. « I rimanenti, che sono assai mutilati, li ho fatti trasportare in un giardinetto que per caso ho acquistato per me ». Mais Natoire, peu scrupuleux, vendit un jour tel quel ce « giardinetto » aux jésuites, en essayant après, mais en vain, de récupérer les plaques de la colonne Trajane. C’est du moins ce qu’on peut lire dans les documents retranscrits dans la correspondance des directeurs de l’Académie. Malgré les démarches faites plusieurs années après par l’administration pour les reprendre (même auprès du Saint-Siège), rien n’y fit et finalement Francesco Piranese, fils du célèbre graveur mais aussi agent artistique du roi de Suède en fit l’acquisition pour son royal client.

Quant à ceux du Palais Mancini, une partie (80 plaques)  ou même peut-être la totalité ira faire un tour à Naples après la fin de la révolte révolutionnaire, pour revenir rapidement à Rome sous l’injonction des français, transportés directement à la Villa récemment acquise. Avec le consulat puis l’Empire, la France était devenue souveraine en Italie.

 

J’avais ainsi tenté de préciser l’identification de ces vénérables reliefs louis-quatorziens de la Villa, ainsi que retracer leur histoire voyageuse (j’avais appris à cette occasion le savant qualificatif  louis-quatorzien, un peu snob et littéraire). Quand Balthus les qualifia de fatigués  pour justifier leur mise en cave en 1970, il ne croyait pas si bien dire. C’était à prendre aussi au premier degré, vu leur périple depuis leur création.

Enfin, mon voyage d’étude aux réserves du musée national de Stockholm confirma ce résultat : les plaques « suédoises » étaient en tous points semblables à celles de la Villa et provenaient bien du moulage intégral du début de l’Académie de France à Rome. Ces tirages ne sont d’ailleurs que peu « mutilati », contrairement à ce que prétendait Natoire pour se disculper….

Il ne me restait plus qu’à rédiger l’article sur l’histoire matérielle de ces plâtres pour l’exposition  La colonna Traiana e gli artisti francesi da Luigi XIV a Napoleone I, Roma, Villa Médicis, 1988. , ainsi que faire quelques petites interventions de restauration (essentiellement du nettoyage) sur les tirages choisis pour l’exposition.

 

Je n’allais tout de même pas partir sans un petit souvenir ! Même à la Villa Médicis, le restaurateur n’est pas qu’un chercheur, c’est aussi un praticien : je sélectionnai un relief de la colonne pour en faire l’estampage et un tirage en plâtre, moi aussi, comme au XVIIème siècle… Je choisis un fragment de taille réduite et bien de dépouille, donc facile à surmouler et à transporter. 

Il faut donc rajouter à tous les lieux connus ou inconnus conservant tirages ou surmoulages de la colonne Trajane celui de mon petit atelier actuel à Fontenay-sous-Bois : souvenir matériel de mon passage et de mon travail romain….

 

Un peu d'Oulipo

 

Je ne faisais pas que des allers et retours entre mon atelier, la colonne Trajane sur le forum, la bibliothèque et les caves. J’allais aussi de temps en temps rendre visite aux autres pensionnaires, ou alors profitais de la porte ouverte d’un atelier pour m’y engouffrer lors de mes promenades dans le jardin, et dire un petit bonjour.

Le temps où je cherchais l’imposture était loin derrière moi. Cela ne m’empêchait pas ma perplexité d’être toujours aussi grande à propos  de la création contemporaine, surtout dans le domaine des arts plastiques.

Un jour, rentrant brièvement dans l’atelier d’un plasticien je vis une grande (2mx1m) feuille de papier ordinaire punaisée au mur, verticale, très simplement peinte de deux énormes carrés superposés, l’un rouge l’autre noir. Cela faisait esquisse, tant par les matériaux que par le sujet. Quoique ? Pour moi l’artiste l’avait réalisé et fixé en première place à des fins d’inspiration. On peut tout dire sur l’assemblage de ces deux couleurs, les plus primitives de toutes. Pourquoi ne l’ai-je pas questionné là-dessus ? Sans doute parce que j’étais mal à l’aise.

De mémoire cela donnait :

 

Cela suffisait il à insuffler une pensée créatrice, me disais-je amusé mais toujours aussi perplexe ? J’eus soudain l’idée de faire, moi aussi, de l’art. L’acte créateur n’appartient tout de même pas qu’aux artistes !  Je gardai le rouge et le noir et me donnai une contrainte, de la même nature et pour les mêmes raisons que celle préconisée par l’Oulipo, sorte de mouvement littéraire initié par Queneau et d’autres, comme on sait, et qui peut aimer l’humour, quand il ne se prend pas trop au sérieux. J’avais retenu par quelques lectures la notion essentielle du projet, qui était : « la  contrainte et le paradoxe dont elle est porteuse : loin de bloquer l’imagination, ses exigences arbitraires l’éveillent, la stimulent, lui permettant d’ignorer toutes les autres contraintes qui, ne relevant pas du langage, échappent plus aisément au contrôle. » (tiré du site de l’Oulipo). Le temps d’une œuvre, j’allais donc créer mon mouvement, l’Oucréapo (Oupeinpo était déjà pris), Ouvroir de Création Potentielle, pour le dissoudre à la fin de mon travail. Renaîtrait-il un jour ?

A la manière de Toroni, alors à la mode, j’utilisai un seul petit pinceau-brosse d’environ 1 centimètre de large mais, au lieu de placer bêtement des taches de même forme et à distance toujours égale, ou bien d’aligner stupidement des barres parallèles de même largeur à la Buren, ma contrainte serait de tracer inlassablement sur le tableau des lignes droites de longueur variable, verticales ou horizontales et qui échapperaient partiellement à mon contrôle. Je choisis que le fond soit noir et que la couleur posée par le pinceau soit rouge. Puis j’appliquai le procédé d’écriture automatique, ou plutôt de peinture automatique, le geste suivant la pensée immédiate, sans aucune composition préalable ni de recul pendant l’exécution, jusqu’à ce que le tableau soit intégralement rempli. Pour la fantaisie, j’introduisis quand même deux éléments non oucréapiens : un sexe (masculin), car le désir c’est la vie, et le onzième hexagramme du Yi-king, symbolisant la Paix, que je mis au centre du tableau.

 

J’étais assez content de moi : l’artiste en herbe que j’étais avait fait une œuvre  à la fois sérieuse et sans prétention,  sans pour cela se prendre au sérieux. Et puis je constatais que les enfants adoraient se promener dans ce tableau, comme dans un labyrinthe. C’était donc réussi, même si c’était une conséquence complètement inattendue.

Dans mon atelier/bureau de Fontenay-sous-Bois, cette œuvre est le deuxième souvenir matériel de mon passage à Rome, en plus du petit surmoulage provenant de la colonne Trajane.

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26 avril 2018 4 26 /04 /avril /2018 10:14

1987 Villa Médicis (2) : comédie, carnaval, et le cadavre de l’académisme dans les caves de l’Académie.

 

Comédie

Mais pourquoi donc cette place m’était-elle réservée pour ces agapes ? La restauration d’œuvres d’art n’était tout de même pas devenue la principale discipline de cette antique Académie ! Mais il fallait suivre le plan de table préparé pour le repas officiel organisé dans la grande salle de la Villa en raison de la présence dans nos murs de notre ministre de la Culture d’alors, François Léotard.

C’était même un peu ridicule, on aurait quand même pu penser (qui avait pensé ? le directeur ? le secrétaire général ?) que ce n’était guère une bonne idée que me placer là dans ce plan de table pour la conversation. D’autres pensionnaires auraient été bien plus représentatifs de l’institution que moi à cette place centrale. Un intellectuel, un artiste, un pensionnaire plus bavard, ou plus drôle, ou encore bon connaisseur du milieu artistique, le choix ne manquait pourtant pas.

A part l’histoire du lieu que je commençais à connaître étant donné mon sujet de recherche, plus l’histoire de cette collection de moulages (quel sujet plaisant à aborder !), quels centres d’intérêts commun, quels sujets de conversation allais je donc pouvoir trouver avec ma voisine de droite, la femme de l’ambassadeur de France ? Qui faisait d’ailleurs très femme d’ambassadeur, si ce rôle social pouvait se définir. D’après mes souvenirs à ma gauche se trouvait le directeur de la Villa, en face de moi l’ambassadeur, à sa droite le ministre et à sa gauche un journaliste déjà très connu, J.-P. Elkabbach. 

J’appris très vite la raison du choix, au moment des présentations : j’avais été tailleur de pierre ! Le directeur avait épluché les CV (ou on les avait épluché pour lui), et il avait dû trouver mon parcours exotique. C’est ainsi qu’il me présenta, m'exhiba à mes voisins de table : restaurateur oui, mais surtout tailleur de pierre ! Ce choix de vie fait jeune homme me poursuivait encore, dans une situation des plus particulières.

C’était un peu la répétition  de ce qui avait été fait une dizaine d’années auparavant par le service de communication du chœur de l’Orchestre de Paris où j’avais eu la chance de chanter pendant une année : pour bien montrer la diversité des situations des choristes amateurs on insistait dans la plaquette de présentation sur la variété des métiers des choristes, en appuyant sur le fait que oui, même un tailleur de pierre faisait partie du chœur ! Cette information perdura pendant une dizaine d’années alors que je n’y avais chanté qu’un an. Ce métier est-il donc si mythique ? J’espère que la description que j’en ai faite dans quelques textes  plus haut dans ce blog (*) (**) (***) permet d'informer sur cette réalité vécue par les tailleurs de pierre d'aujourd'hui, bien loin du mythe. Beaucoup de satisfactions, mais que de contraintes et de pénibilités dans ce travail d’ouvrier !

Le repas offert en raison de la présence du ministre (dîner ou déjeuner je ne me souviens plus) se déroula malgré tout assez bien, le peu de vernis culturel que je possédais suffisait à alimenter une conversation assez plate, surtout avec ma voisine de droite dont le vernis était tout aussi mince, contrairement à son maquillage. Un peu comme celui (le vernis, pas le maquillage) du ministre, homme politique capable comme beaucoup de se promener sans vergogne d’un ministère à un autre, étant passé de celui de la Défense à celui de la Culture. Cela laisse toujours rêveur.

Je n’ai aucun souvenir du menu, qui ne devait donc pas être à la hauteur des fêtes données dans les jardins de Lucullus qui avait hanté ces lieux il y a bien longtemps, de même que la sulfureuse Messaline qui y fut assassinée.

 

 

 

Quant à Jean-Pierre Elkabbach, sa présence était assez hachée et sa conversation limitée, occupé qu’il était à préparer ou faire préparer les interviews des personnalités qui étaient prévus à la fin du repas. Souvenir désagréable de son attitude… mais souvenir court et bien lointain.

Je n’ai jamais trop aimé les mondanités, jouer cette comédie était au moins très inattendu.

 

Carnaval

 

Il n’y a pas loin de la comédie au carnaval : dans ma mémoire quelques semaines tout au plus. Le fameux carnaval romain avait disparu dans sa forme extrême, mais il restait quelques événements qui y étaient peut-être traditionnellement liés. C’était le cas pour celui organisé en cette année 1987 dans les murs de la Villa par l’Ecole Française de Rome et l’Académie de France à Rome. Je n’ai pas de souvenirs de qui s’occupait concrètement des choses : quelques élèves de l’Ecole et des pensionnaires motivés, soutenus par l’administration des deux établissements ? Je n’ai que quelques flashes qui me reviennent, deux plus précisément : des masques fantastiques venus de Venise pour l’occasion, et mon déguisement en Richelieu, que j’avais imaginé en raison de mon choix (assez ancien) de porter la barbe, pilosité modulable. Il me fallait pour cela deux accessoires : un habit de cardinal, que je louai dans un magasin spécialisé, et la fameuse barbiche. Pour cette dernière je n’eus pas non plus de difficulté puisque je portais la barbe entière : il suffisait de la raser partiellement jusqu’à obtenir la forme désirée, même si la moustache était un peu courte. Il était assez agréable de tenir ce rôle historique, car je m’amusais à bénir religieusement et à tout-va les personnes déguisées ou non que je croisais. Ce doit être la seule fois de ma vie où je me suis réellement pris pour quelqu’un d’autre.

Une fois la fête et la schizophrénie terminées je me retrouvais le lendemain avec une drôle de tête barbichue que je ne reconnaissais pas dans le miroir et qui ne me plaisait pas trop. Tant qu’à faire, autant aller jusqu’au bout ! Je me rasai alors complètement le visage, et vis dans la glace encore une autre personne. Mais c’était irréversible ! Me découvrant ainsi mes amis ne purent s’empêcher de rire, habitués qu’ils étaient à mon aspect antérieur. Surtout le compositeur qui vivait avec sa famille au-dessus de nous et dont la proximité fut un réel bonheur durant toute cette année.

Ma femme elle-même souriait en m’avouant qu’elle avait l’impression de s’être remarié avec quelqu’un d’autre sans que je puisse lui reprocher une quelconque infidélité. Tout cela n’était en rien méchant, était même plutôt affectueux. Mais je ne m’aimais pas ainsi, avec mon trop petit menton. Je décidai alors de me laisser repousser seulement le bouc, dont la forme oscillera jusqu’à maintenant entre celle de l’éthologue et prix Nobel Konrad Lorenz dont les découvertes me fascinaient et celle de Freud.

 

Le cadavre de l’académisme est à la cave

 

Ces festivités ne remplissaient tout de même pas le quotidien des pensionnaires. Pour ma part, la quantité de travail qui m’occupait n’était pas mince : entre autres faire le lien entre d’une part les archives et publications qui pouvaient mentionner ces fameux moulages anciens, d’autre part les moulages eux-mêmes dont la plupart se trouvaient dans les caves à vin de Ferdinand de Médicis.

 

On accède à ces caves directement du piazzale par une porte à l'accès interdit mais dont tout le monde ou presque a la clé, sous la terrasse du bosco. Une pente relativement forte nous mène alors à plusieurs salles ou au départ de plusieurs petits souterrains très étroits, boyaux tournicotant dans la colline du Pincio.

Des centaines de plâtres dans un état innommable  étaient entreposés là, dans un gigantesque capharnaüm. Tout était mélangé, autant les époques des formes originales que celles de la fabrication des plâtres. L’antique côtoyait le médiéval, le Renaissance côtoyait le moderne. Les moulages datant de la création de l’Académie se confondaient sous la crasse et les mutilations avec ceux des travaux de pensionnaires du XIXème siècle.

Cette collection, la première de cette taille à être constituée en Europe et admirée en tant que telle avait été victime de son importance, des déménagements successifs de l’Académie, enfin de la mort de l’académisme. Fondée en 1666 par Colbert, L’Académie de F. à R. se trouva d’abord sur les pentes du Janicule près du monastère de Sant'Onofrio. Elle déménagea peu d’années après (1673) au palais Caffarelli, puis à nouveau en 1684 au palais Capranica. En 1725, elle s'établit enfin au palais Mancini sur le Corso, jusqu'au Consulat, avec une mise à sac pendant la période révolutionnaire romaine. Son dernier déménagement, suite à un accord honteux d’échange avec la Toscane et au détriment de cette dernière, la vit s’installer à la Villa Médicis en 1803. Les pensionnaires y arrivèrent entre décembre 1803 et janvier 1804 et ce qui restait des plâtres y fut alors transféré, dans un piteux état et en quantité bien moindre qu’un siècle auparavant.

Qu’à cela ne tienne ! La collection de moulages est à nouveau reconstituée dès cette installation pour arriver à son apogée sous le directorat d’Ingres (1835-1840). Elle fut  exposée pour l’essentiel dans l’aile qui abrite actuellement la bibliothèque et le salon de la Villa qui la prolonge. Balthus, directeur pendant mai 68 et acteur principal de la réforme de l’institution (avec la fin des « Prix de Rome »), fit alors mettre sans ménagement tous les moulages selon lui « poussiéreux et fatigués » dans ces caves, où je les découvris 15 ans après recouverts d’une épaisse couche de crasse, de moisissures et de champignons filandreux. Beaucoup étaient brisés, mutilés, pour certains peinturlurés (on dirait tagués maintenant) par d’anciens pensionnaires iconoclastes.

Si importants lors de leur fabrication, objets d’étude et d’admiration pendant trois siècles pour les plus anciens, ces  représentants de l’académisme étaient abandonnés, comme morts ; ces caves étaient devenues leur tombeau dans l’attente d’un pourrissement ultime. Mais ma présence de restaurateur (et non de mouleur ou sculpteur en plâtre) montrait 15 ans plus tard le changement finalement rapide de leur statut : d’objets d’étude désuets et inutiles, ils avaient acquis une réelle valeur historique et pour cette raison pouvaient ressusciter un jour.

 

Cave

 

Le jury d’admission (très peu au fait de méthodologie) avait sans doute cru qu’un restaurateur allait restaurer dès son arrivée, c’est-à-dire faire revenir immédiatement par des gestes techniques l’objet à un état plus acceptable, plus complet, plus « proche de l’original »,comme l’aurait fait un sculpteur/mouleur.

Il aurait d’abord fallu qu’on me donne un atelier assez grand et un minimum adapté… L’administration mit près de trois mois à se décider et me plaça finalement dans l’ancien atelier de Balthus, dont la porte se trouve à gauche de la loggia de Velasquez. Le lieu était un peu sacralisé par le fantôme de Balthus, mais il fallait bien nous mettre quelque part, moi et les quelques moulages que je souhaitais faire remonter des caves humides ! Et tant mieux pour la vue magnifique en sortant de l'atelier, avec la façade de la Villa à gauche, les pins à droite et au centre la coupole de Saint Pierre dont l'ombre se détachait au soleil couchant... 

 

 

Mais avant de restaurer un objet, une œuvre, un bien culturel, il faut donc d’abord en faire son histoire matérielle : matériaux et technologie pour sa fabrication, ses pérégrinations, d’éventuelles interventions passées.  Puis il est nécessaire de préciser son état actuel, de le consigner, d’analyser les raisons de cet état (diagnostic) et les interrogations qui se posent à propos d’une éventuelle restauration, avec pour finir des préconisations de « traitement ». Pour un moulage en plâtre historique, cette démarche méthodologique n’est pas des plus complexes, mais elle doit être faite au même titre que n'importe quelle autre oeuvre d'art.

L’historique au sens strict des plâtres avait déjà été établi (mais non encore publié) par une chercheuse dépendant d’une conservatrice du Louvre chargée aussi de la collection de moulages des grandes écuries de Versailles, et qui en avait fait l’inventaire.

Par contre il restait beaucoup à faire à propos de cette histoire matérielle et de la datation au moins approximative de chaque moulage en se servant 1) des sources écrites (archives de la Villa), 2) des publications (la correspondance des directeurs et les mentions qui s’y trouvent, y compris les comptes), et bien sûr 3) l’observation technologique de chaque moulage pris individuellement. La consultation de la correspondance des directeurs et l'épluchage des inventaires qui s'y trouvent me prit un temps auquel je ne m'attendais pas.

Ce premier débroussaillage d’observations techniques ne fut donc que partiel, vu l’ampleur de la tâche : 379 moulages (en majorité d’antiques) étaient inventoriés. Je n’avais comme moyen que mes mains et mon atelier, et un temps relativement limité, d’autant plus que je fus très vite pris par une recherche plus précise sur les moulages de la colonne Trajane, en vue d’une exposition prévue au printemps 1988 sur l’influence de ce fameux monument sur les artistes français de Louis XIV à Napoléon 1er.

Je fis aussi quelques interventions de surface (nettoyage ou autre), surtout sur les plâtres qui étaient placés dans mon atelier.

 

Enfin, j’eus l’opportunité de publier  une synthèse de ce travail quelques années plus tard :

La collection des plâtres de la Villa Médicis, dans « Science et Technologie de la Conservation et de la Restauration des œuvres du patrimoine » (STCR), n°2, septembre 1991, pp.103 - 111

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20 avril 2018 5 20 /04 /avril /2018 05:39

1987 A la recherche d’imposteurs à la Villa Médicis

 

Le piano de Debussy

 

J’avais remarqué que le moment où les salons de la Villa étaient le plus déserts se situait vers 11h. Les lèves-tard avaient alors fini de prendre leur petit déjeuner dans ces espaces somptueux, conçus pour les fastes des Médicis et non pour la villégiature de jeunes artistes français. De plus, à cette heure, le personnel n’avait pas encore commencé à dresser la table pour le repas de midi. 

Cela faisait quelque temps que je méditais mon coup : jouer quelques mesures d’une œuvre de Debussy sur le piano dit de Debussy, sacralisé comme tel et avec raison, placé dans un salon entre la grande salle à manger et un autre salon servant de cafeteria. Seulement, musicien très amateur, je n’allais pas risquer d’écorcher une partition sur ce piano mythique réservé pour quelques concerts et de créer l’imposture au vu (ou plutôt à l’entendu) de quiconque.

Projet audacieux s’il en est ! D’autant plus qu’on se sent tout petit dans ces salons du niveau principal, à la hauteur impressionnante.

J’avais bien sûr travaillé quelque temps auparavant sur le piano droit que j’avais loué et fait installer au rez-de-chaussée du pavillon que ma famille occupait au bout de l’interminable allée des orangers. Philippe Hurel, compositeur, habitait avec sa famille au premier étage du même pavillon. Lui-même et sa femme Catie, pianiste, étaient indulgents et ne m’en voulaient pas trop que je leur fasse subir mes pénibles exercices et répétitions.

 

Mais pianoter chez soi est autre chose que jouer sur l’instrument que Debussy utilisa pendant son séjour entre 1884 et 1886 (donc juste un siècle avant notre promotion). Cela représentait de ma part une sorte de sacrilège amusé, que je commettais de temps en temps avec délectation, pendant quelques minutes.

 

Je me découvre imposteur

 

J’avais un sentiment de fierté le jour de mon arrivée à Rome. Qui n’en aurait pas ? Mais je n’avais plus l’âge de l’orgueil imbécile : je savais très bien où j’arrivais, quels étaient mes mérites et encore plus ceux de mes illustres prédécesseurs ayant été reçus à l’Académie de France à Rome, créée sous Colbert (installée à la Villa Médicis seulement depuis 1803) : Berlioz, Bizet, Debussy, Garnier, Carpeaux… et puis David et Ingres avant le transfert postrévolutionnaire, et d’autres à peine moins connus…  Bien sûr, à côté des grands noms, combien de centaines et même de milliers de pensionnaires sont oubliés maintenant ! J’en ferais évidemment partie. La magnificence du lieu, son histoire si riche, le mythe qu’il dégageait encore, tout cela m’impressionnait encore plus. J’avais du mal à penser que je méritais d’y rester un an. Comme restaurateur, chercheur au même titre que l’historien d’art, je n’usurpais sans doute pas la place de quelqu’un d’autre. Mais face aux plus grands artistes de notre histoire…

Ce mot d’imposture revenait sans cesse dans mon esprit durant les premières journées de mon séjour. D’où les questions qui  m’obsédaient presque : pourquoi cette institution désuète m’avait-elle choisi et surtout pourquoi existait-t-elle encore, avec le coût exorbitant que cela représentait pour le contribuable  ?  7 hectares au cœur de Rome, un bâtiment gigantesque et des jardins à entretenir, une administration coûteuse, tout cela pour une petite vingtaine de pensionnaires rémunérés comme des agrégés débutants, avec une prime de séjour doublant presque le salaire. Les logements des pensionnaires étaient (et sont encore) disséminés dans le parc de la Villa, soit dans des pavillons servant uniquement d’habitation (surtout pour les familles), soit dans des constructions avec atelier réhabilitées au XIXème siècle, le plus souvent placées sur le périmètre du parc. Peu entretenus, les conditions de vie dans ces logements y étaient assez sommaires, mais nous étions au cœur de Rome, dans un lieu idyllique, avec des projets de création ou de recherche qui nous passionnaient, et enfin des moyens inespérés pour les réaliser. Du temps, surtout.

 

Étais-je au moins le seul ?

 

J’avais donc découvert mon état d’imposteur, et me disait que, en tant que tel, il me serait facile de débusquer mes semblables, s’il y en avait. Il ne pouvait pas ne pas  y en avoir, sans doute plus encore chez les plasticiens quand on connait les errements trop fréquents de l’art contemporain, conceptuel ou non, ainsi que les facilités qu’offre l’abstraction ou une déformation mal maîtrisée de la figuration. Pas facile de choisir pour un jury honnête !

Afin de rencontrer individuellement chaque pensionnaire, je profitai de mon sujet de recherche. Les près de 300 vénérables moulages à étudier (presque tous en plâtre) n’étaient pas qu’à l’air libre en train de se dissoudre sous les fortes pluies romaines hivernales. Ils n’étaient pas tous non plus, pour la plupart brisés, en train de pourrir dans l’humidité maximale des caves à vin de Ferdinand de Médicis, dans le grottone sous le bosco, après pour certains avoir été vandalisés par quelques pensionnaires des années 1950-60. Amusement infantile en réaction contre l’académisme.

Quelques-uns étaient aussi dans les logements des pensionnaires, en raison d’un article du très vieux règlement intérieur de la Villa, qui stipulait que tout pensionnaire pouvait bénéficier dans son atelier (ou son logement) d’un portrait peint d’un ancien pensionnaire (tous du même format) ou d’un moulage de taille modeste.

Ce prétexte me permit de faire rapidement connaissance avec les artistes ou chercheurs qui pour certains sont devenus des amis, mais aussi de bavarder quelque peu sur leur projet, leur passé… Ma recherche (secrète) de l’imposture était bien sûr anecdotique, mais me réjouissait beaucoup.

 

Ancien ouvrier tailleur de pierre puis sculpteur, enfin restaurateur d’œuvres d’art sortant de mes études, mes capacités de jugement sur l’art contemporain toutes disciplines confondues étaient alors forcément limitées, et n’étaient que perception immédiate, brute en quelque sorte. Je savais que je subirais sans doute condescendance et parfois mépris de la part de quelques créateurs, exerçant de leur point de vue une activité plus noble que la mienne. Je le sentais ainsi à travers le dédain qu’avait envers moi le plasticien / photographe / écrivain / quoidôtrencore Alain Larchère, alors à la mode à Paris et peut-être ailleurs.

Je m’intéressais bien depuis plusieurs années à la création actuelle, en étant peut-être un peu plus averti que le citoyen lambda, mais me sentais peu capable de discernement. Je lisais parfois la revue Art Press, prenais l’art conceptuel comme une composante de la création contemporaine, tout en n’y comprenant pas grand-chose. Mais pourquoi donc, doté d’une intelligence que j’espérais au moins égale à la moyenne et d’un œil qui commençait à être formé, je ne réussissais pas à me mettre au diapason intellectuel de Catherine Millet (qui n’avait pas encore parlé de ses fesses, sujet plus simple à approcher) ?  Cela me faisait plonger dans des abîmes de perplexité.

 

C’eravamo tanto amati

 

Indéniablement, les compositeurs étaient très solides, autant dans leur métier que dans leur sens de l’humour. La puissance et le front beethoveniens de Philippe Hurel, son enthousiasme à faire partie d’un courant important de la création musicale d’alors, la musique spectrale, sa science de la composition autant électronique/informatique que  classique, tout cela en faisait une personnalité brillante, très attachante de surcroît. Jean-Marc Singier, tout aussi sympathique mais plus discret, m’impressionnait par la subtilité de ses œuvres, leur précision et leur finesse. Il est peu courant que des œuvres musicales aient de « l’esprit ». C’était le cas de celles de Jean-Marc, dont le titre même des œuvres participaient à la création, comme blocs en vrac de bric et de broc. On entendait ainsi sa musique avant même qu’elle ne commence. Ses partitions manuscrites étaient aussi des chefs-d’œuvre de calligraphie, suivant les préceptes de Donatoni, dont il avait été l’élève. Ce n’était pas de ce côté-là qu’étaient les imposteurs, mais alors pas du tout.

 

Je ne comprenais pas très bien les projets des architectes et n’arrivais pas à m’y intéresser. Mais, pour le quotidien et  mon enrichissement personnel, les côtoyer était très agréable. Le paysagiste, Michel Desvignes, était porteur d’un projet plus qu’intéressant, à travers l’élaboration de ses « jardins élémentaires », dont l’agencement minéral autant que végétal permet de provoquer avec le temps de lents changements partiellement aléatoires. Du land art qui a la bougeotte de l’escargot un peu saoul, en quelque sorte. L’imposture était ailleurs.

De plus, avec son atelier juste en face du mien, de l’autre côté du piazzale, je voyais petit à petit l’avancement de la réalisation de son projet, en plus d’une agréable proximité. On m’avait mis dans l’atelier de Balthus, d’abord sacralisé (l’atelier comme Balthus) après son départ comme directeur, puis devenu hangar à tout mettre, alors que c’était un espace « historique » sous le grottone, juste à côté de la loggia dite de Velasquez, puisqu’elle se trouve  être le sujet d’une des œuvres du grand peintre.

Patrick Faigenbaum était peut-être l’artiste le plus important de notre promotion. Portraitiste incomparable, ses photographies étaient d’une grande profondeur. Lentement composées, elles reflétaient l’instant d’une longue séance de mise en place, avec l’utilisation de subtils  contrastes entre ombres et lumières du lieu, noirs et clairs des sujets avec leurs visages, habits, œuvres ou… moulages comme pour mon portrait avec mes filles dans mon atelier.

Une fois le cliché argentique pris, il passait de longues heures dans son petit laboratoire, installé dans le pavillon où ma famille habitait. Il y faisait ses développements mais surtout ses tirages qu’il modifiait à sa guise (à l’aide de produits peu sympathiques), comme un peintre finalise ses toiles à l’aide des glacis les plus subtils, sans lesquels l’œuvre resterait encore trop plate. Pour moi, ce n’était pas un photographe, mais un peintre.

Lui aussi subissait donc mes gammes, arpèges et inlassables répétitions pianistiques (sans réel progrès à mon grand désespoir), mais cela ne le gênait pas.

Il ne fallait donc pas aller chercher l’imposture de ce côté, pas plus que chez Anne Cartier-Bresson, ma collègue restauratrice de photographies déjà reconnue professionnellement (bien plus que moi) et dont la carrière fut exemplaire. Sylvie Bouissou et Jean Duron, musicologues émérites, m’apparaissaient très compétents de même que Jean-Jacques Couapel, historien de l’art, chercheur sur les sources du modèle architectural italien autour de 1800, qui devint un ami cher.

 

Chez les écrivains, alors ?

Jean-Paul Goux était peut-être à l’écriture ce qu’était P. Faigenbaum à la peinture/photo : un artiste du plus haut niveau. J’aurais aimé assimiler ses remarques sur la phrase-paysage qu’il souhaitait à la fois souple et articulée de manière complexe. J’aurais voulu aussi appliquer ses indications pour donner à  ce banal blog   la globalité et la subtilité d’un paysage anamorphotique réussi. Mais ne rêvons pas.

Personnalité à l’opposé de celle de Jean-Paul Goux, mais tout aussi savant et doté d’une grande simplicité, Emmanuel Hocquard effectuait un joli travail sur la langue : comme un collégien j’avais retenu sans volonté, sans effort mais par cœur certaines de ses belles phrases descriptives de l’atmosphère du parc de la Villa. Je lui étais assez indifférent.

Renaud Platnez savait écrire aussi, indéniablement. Trop, peut-être ! Ses descriptions interminables des trésors du patrimoine romain, surtout les églises baroques, étaient absolument indigestes, tout autant que celles de ses aventures d’inverti dans les bosquets au-dessus de la plage d’Ostie. Mais imposteur, non ! Il m’avait fort bien reçu chez lui, à la fois surpris et amusé, quand je vins le voir sous le prétexte de constater la présence et l’état d’un buste en plâtre dans son pavillon de Saint-Victor. Il est malheureusement devenu depuis l’auteur du « Grand Remplacement », thèse du genre complotiste et récusée autant par sa méthode que par sa logique.

 

Je serais donc le seul imposteur de la bande ? Il me restait à aller voir chez les plasticiens, les créateurs de ces œuvres matérielles (accessoirement de l’esprit) qui m’étaient déjà plus familières. Je n’arrivais pas à rentrer dans le monde de Michel Gouery, à l’énergie créatrice intense. Mais j’eus rapidement avec lui des atomes crochus. C’était ainsi.

Je trouvais l’art de Florence Colline bien pauvre, qui ne consistait qu’à habiller l’espace de barres de fer plus ou moins tordues, dans d’infinies et stériles déclinaisons. Mais, autant en œuvres isolées dans une salle d’expo cela me paraissait très banal, autant les réalisations qu’elle allait faire plus tard seraient particulièrement réussies, surtout celles en lien avec un bâtiment ou avec un lieu public.

Alexandre Retard donnait dans l’abstraction figurative, à moins que ce ne soit l’inverse. Son travail ne m’attirait pas plus que le mien ne l’intéressait. De là à le traiter d’imposteur… Et puis il m’était sympathique.

Alain Larchère, artiste déjà à la mode et pleinement reconnu mais pas par moi qui trouvai ses travaux insipides et verbeux, n’était là que pour profiter de l’argent de la princesse et des splendeurs de la Villa. Pourvu de voitures de frimeur, accompagné d’une bimbo, pourquoi le jury l’avait-il donc choisi ? Imposteur, sans doute que non.  Mais profiteur, Alain Larchère, certainement.

Plus sympathique et plus intéressant, Georges Blonde était dans la même situation : que venait donc faire un artiste à l’œuvre déjà si importante ? L’argent péniblement récolté auprès du contribuable ne pouvait-il donc pas être dépensé pour des talents plus jeunes et prometteurs ?

De plus, ces deux derniers artistes n’étaient que bien peu à Rome, traitant de leurs affaires en France ou plus loin.

 

L’imposture résidait finalement plutôt dans l’existence même de l’Académie de France à Rome et de sa mission première, survivance d’une lointaine gloire passée qui offrait toujours ses charmes et son intérêt à de jeunes artistes qui auraient bien eu tort de s’en priver. A part pour les historiens de l’art et les restaurateurs (les italiens avaient encore beaucoup à nous apprendre),

Cela faisait longtemps qu’elle aurait dû être transférée à New-York ou à Berlin.

 

Le temps passait, Cette recherche sur  l’imposture n’était en fait qu’une plaisanterie pour moi-même. Dans ce petit monde plus qu’abordable je m’intégrais petit à petit. J’avançais aussi dans mon propre projet et finis par admettre  que j’étais  à peu près à ma place, sans trop d’imposture ni de malhonnêteté face au contribuable.

 

 

Enfin de l’imposture ! Bien triste.

 

Une partie importante de mon projet était l’étude  historico-technologique des moulages de la colonne Trajane, dont je parlerai plus loin. Ce travail complétait les travaux d’histoire de l’art liés à une exposition consacrée à « la colonne Trajane de David à Poussin » qui eut lieu durant l’année 1988. Je revins à Rome à l’occasion de son inauguration et y rencontrai enfin l’imposture en la personne d’Hervé Guespagnol. J’avais déjà entendu parler de ce jeune écrivain, d’une insolente beauté et mignon du célèbre penseur Michel Pendule, auteur de Les mots du capitaine Chose.

Je connaissais le visage de H. G. et le croisai du regard. J’y vis autant la prédation que la méchanceté, en plus d’une grande souffrance.

Le temps passa, l’année suivante sortit son livre  L’Incognito  où il relate en détail son passage à la Villa Médicis, en transformant l’Académie de France à Rome en « Académie ibérique », dans une sorte d’autofiction à sa sauce. Mais pourquoi donc ibérique, alors que le jeu sexuel (genre branlette) du même nom est plutôt réservé par la nature même du jeu aux hétéros, qu’il n’était pas ? Sens caché ou lapsus révélateur ?

Le livre est indiqué sous la forme « roman », forme facile qui permet à son auteur la  transformation de la réalité en ayant avancé masqué. H. G. précisa, à propos de son propre ouvrage, que « c’est un témoignage exact de ce qu’était la Villa Médicis ». Si un jour des historiens se penchent sur le quotidien de la Villa à la fin du XXème siècle, qu’ils prennent garde ! Beaucoup de  descriptions sont exagérées, transformées aux seules fins de dérision de l’institution qui l’accueille, de méchanceté de l’écrivain envers celui ou celle qu’il est amené à croiser. Il l’avoue lui-même : « c’est une blague L’Incognito, un jeu de massacre, quelque chose de systématique dans sa méchanceté. ». Mauvaise blague. Et quelle désinvolture !

Dès le début de son livre, Hervé Guespagnol habitué au luxe de sa classe d’écrivain ayant fréquenté autant Michel Pendule que Roland Barbe (ce qu’il garde bien de dire lors de son admission mais tout le monde le sait), crache dans la soupe républicaine qui lui est servie, alors qu’il est correctement payé par l’Etat à écrire son bouquin, qui lui rapportera plus tard, en plus. Mais il n’en profita guère puisque la saloperie qu’est le sida l’emportera trop tôt.

L’administrateur est petit fonctionnaire, le directeur gros bêta débraillé (ce qui n’était pas complètement faux), quant aux autres pensionnaires, il les méprise souvent en décrivant leurs travers, leurs soi-disant petites manies plutôt que leurs empathies et leurs passions, qui ne sont pas moindres que les siennes. La mise en scène de soi est tellement facile quand c’est au détriment des autres !

Mais H. G. était homosexuel, atteint du sida, artiste et savamment mondain, du monde de grands penseurs professeurs au Collège de France, ou d’artistes comme Mathieu Lainedon ou Patrice Padonné. Il est donc intouchable et forcément grand artiste.

J’aurai rencontré à la Villa Médicis deux homosexuels malades du sida, déjà séropositifs durant leur séjour et qui décèderont quelques années plus tard : Hervé Guespagnol et Jean-Jacques Couapel. Autant le premier était antipathique, autant le deuxième respirait la gentillesse et l’empathie naturelle, alors qu’ils fréquentaient sans doute les mêmes lieux de plaisir, à Ostie ou dans des bars romains  au commerce interlope.

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12 avril 2018 4 12 /04 /avril /2018 10:33

1985-86 Le chemin de Rome passe par l’Autriche

 

 

Vienne

 

Dans un train-couchettes on n’enlève que ses chaussures et on dort tout habillé, quand on arrive à dormir. J’étais trop excité pour en avoir envie, étant donnée ma destination : Vienne !

Je préférais passer ce début de nuit dans le couloir, plutôt que tenter un endormissement improbable.

Vienne, le train n’y était pas encore, loin de là ! Il n’avait pas encore passé la frontière autrichienne et roulait curieusement comme un tortillard. Il s’arrêtait de temps en temps, ce qui me permettait d’admirer la multitude de décorations de Noël que les bavarois disposent dans leurs jardins et sur leurs maisons. Le spectacle était magnifique, le retard du train, moins. Je sentais chez les  autres voyageurs une sorte d’inquiétude, dans la mesure où mon allemand de niveau plutôt moyen me permettait de comprendre la situation. Petit à petit les informations arrivaient : une brutale vague de froid s’était abattue sur l’Europe centrale en cette nuit de début janvier 1985, et avait désorganisé temporairement les transports.  

 

A la sortie du train puis de la gare centrale de Vienne, le froid fut d’une telle vivacité que l’affronter fut une véritable épreuve, mon gros pull à col roulé et mon blouson en peau retournée (c’était la mode) n’était guère suffisants. La température était de 2 degrés à mon départ de Paris, il faisait -22 à mon arrivée à Vienne. Les aiguillages du tram étaient bloqués, fait rarissime, ce qui m’obligea à trainer ma valise à pied jusqu’à l’Arsenal, là où se trouvent les locaux du Bundesdenkmalamt. C’était mon lieu de stage, centre de recherche et de restauration autrichien surtout destiné à l’entretien du patrimoine équivalent à celui de nos Monuments Historiques français.

 

Ce stage obligatoire à l’étranger dura trois mois. Un mois aurait suffi. Je n’appris que peu de choses dans le domaine de la pierre, les traitements étant proches de ceux appliqués en France pour nos Monuments Historiques, c’est-à-dire assez rudes. Je vis aussi des traitements assez drastiques des grands formats de peintures sur toile, particulièrement pour le refixage de la couche picturale. L’utilisation de grandes presses peu délicates écrasaient tout empâtement de la peinture.

J’eus par contre la chance de travailler quelques semaines avec une restauratrice de polychromie réputée, Giovanna Zehetmeyer, sur un  retable du Belvédère inférieur, bâtiment conservant surtout des œuvres de la fin du Moyen Age, de la Renaissance et du début du Baroque. Comme souvent dans les œuvres foisonnantes, les portraits, trognes ou attitudes  des personnages secondaires étaient bien plus attirants que la sculpture des personnages principaux, plus convenus. 

L’essentiel du travail était d’une apparente simplicité : nettoyage léger de la très fragile polychromie au bâtonnet de coton légèrement humecté (salive ou eau avec tensioactif). Si la technique était simplissime, la seule d’ailleurs à permettre un résultat satisfaisant, son exécution requérait concentration et finesse.

 

J’avais très peu de moyens financiers.

L’amertume est vive quand on a du temps, qu’on se trouve dans un lieu exceptionnel et qu’on ne peut en profiter correctement faute de moyens. Quand, de plus, on est loin de sa famille et de ses tout jeunes enfants, il n’y a pas que des bons moments.  

Je marchais beaucoup et visitais la ville… à pied. Au dégel je poussais un peu plus loin, m’égarais en totale solitude au cimetière où Mozart fut enterré. Moment émouvant. J’appris qu’il est normal qu’on n’ait jamais retrouvé ses restes, puisqu’un décret impérial ordonnait à l’époque d’y être enterré sans cercueil et sans identification.

J’allais encore plus loin vers le cimetière central, voir non sans émotion également le « carré des musiciens ». Que de musiques doivent venir à l’esprit des visiteurs de ce lieu !

Je me souviens aussi de quelques visites dont l’appartement de Freud avec son fameux canapé rouge et bien chargé, puis de nombreux passages au Kunsthistorisches Museum : souvenirs éblouis des Bruegel, Bosch, Van Eyck, Van der Weyden… ainsi que les impressionnants Klimt au Belvédère supérieur.

 

Sans oublier un petit tour en banlieue, goûter le fameux petit vin blanc de Grinzing !

 

 

 

Les premiers travaux et le diplôme

 

Revenu à Paris, il me fallait préparer ma soutenance et faire la restauration de ma pièce de diplôme, une Vierge à l’Enfant bourguignonne du XVème siècle.

Les modalités de la soutenance pour l’obtention du diplôme n’avaient pas encore été clairement établies. L’IFROA était jeune et cafouillait encore beaucoup ! C’était inévitable dans la mesure où la formation était gérée par une association loi 1901, donc non institutionnelle. Ainsi, formellement, il n’y a jamais eu de « diplôme » de l’IFROA, seule une « attestation de soutenance du mémoire de fin d’études avec succès » fut délivrée par l’administration, bien des années après. Je ne reçus la mienne qu’en… 2006 !

Je sortis officiellement de mes études en septembre 1985, et passai ma soutenance seulement en mars 1986, tout en étant un des premiers. J’avais été un des premiers étudiants à utiliser un ordinateur personnel avec imprimante, qui était d’ailleurs plus traitement de texte qu’autre chose. Quelle époque ! Sa mémoire vive totale était dérisoire (128 ko) et l’image numérique grand public n’existait pas encore.

 

 

Du point de vue du travail, nous étions lâchés dans la nature à notre sortie de l'IFROA : pas de création de poste dans la fonction publique, pas ou peu de proposition de devis de la part des institutions publiques,  la débrouillardise dans le secteur privé comme celui des antiquaires. Après avoir fait le tour des boutiques, je finis par m’entendre proposer une restauration par un marchand, situé quai Malaquais. Ce fut une aventure malheureuse, mais somme toute banale.

Il aurait voulu que je repeigne en faux vieux une statue en bois du XVIIème, pour un prix dérisoire. Nécessité économique faisant loi, j’avais réussi avoir le travail en négociant un compromis de traitement, tout en respectant un minimum les traces de polychromie présente. L’antiquaire aurait préféré la meilleure mise en valeur possible, pour vendre bien sûr. Il ne me sollicita pas pour un autre travail.

Heureusement Alain Erlande-Brandenbourg, conservateur du musée de Cluny qui m’avait confié la pièce de diplôme (qui était en fait un dépôt du Louvre), me commanda l’étude et la première phase de restauration d’une cheminée sculptée monumentale pour le musée de la Renaissance. Je pouvais survivre ainsi quelques mois supplémentaires.

 

Le hasard d’une conversation qui change une vie

 

J’étais resté dans le conseil d’administration de l’association des élèves et anciens élèves. Nous avions parfois rendez-vous avec Jean Coural, le directeur de l’IFROA, pour aborder les diverses questions du moment.

 

A la fin d’une réunion, nous eûmes une conversation qui allait changer ma vie. De son ton bonhomme et bienveillant, Jean Coural aborda un tout autre sujet :

  • Savez-vous qu’il existe des places de restaurateurs/pensionnaires à la Villa Médicis ? La clôture du concours est imminente, aucun des candidats ne vient de l’IFROA, ce qui est bien regrettable.
  • Euh…euh…  non, pas vraiment, non, nous n’avons pas été mis au courant.
  • Tenez, par exemple, Monsieur Delivré (dit-il en se tournant vers moi, avec un ton et un regard assez directifs), un sujet porteur serait l’étude et la restauration de la grande collection des moulages de la Villa, que vous connaissez certainement n’est-ce pas ? Cela ne vous intéresserait-il pas ?

N’ayant que peu de connaissances sur cette lointaine institution assez vieillotte à mes yeux, n’en ayant pas plus sur cette collection de moulages dont je mésestimais l’importance, je n’en revenais pas et bafouillai :

  • Euh…. oui, je connais un peu…. euh... oui, bien sûr, cela m’intéresserait…. (je ne m’étais pas plus intéressé à la problématique des moulages anciens qu’au reste. Par contre, faire un petit ou grand séjour à la Villa Médicis… ).
  • Très bien ! Réfléchissez bien, Monsieur Delivré, et revenez me voir. Mais très vite, demain matin au plus tard, mon secrétariat vous donnera aussi les détails administratifs. Commencez même à préparer votre dossier : l’inscription au concours d’admission est close ce soir ! Nous dirons que vous l’avez déposé ici et non à l’administration de l’Académie de France à Rome.

Jean Coural était-il donc si puissant, pour me demander de constituer un dossier de candidature le lendemain même de la clôture officielle des inscriptions ? Pour ma part j’étais lucide : certes, mes formations, académiques ou non, commençaient à s’étoffer, en plus d’une expérience professionnelle non négligeable ; mais j’étais aussi une pièce dans la stratégie de mise en valeur de l’IFROA.

Par l’autonomie qu’il me donnait, l’ordinateur acquis quelque temps auparavant pour mon diplôme allait me permettre de réagir extrêmement vite. 

 

 

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6 avril 2018 5 06 /04 /avril /2018 07:26

1982-83   L’œuvre d’art dévoile son intimité

 

 

J’allais de découverte en découverte, émerveillé de pouvoir tant apprendre, tant comprendre mais aussi pratiquer. Moments continus d’acquisition de savoirs et de savoir-faire.

Au fil des semaines et des mois, bon nombre de mes questions trouvaient des réponses, au moins partiellement. De quoi, en quoi sont faites les œuvres d’art ? Comment les fait-on ? Et, finalement, qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Sa définition est-elle universelle ou bien histoire de goût, d’époque ?

Si une œuvre est en mauvais état, pourquoi, comment l’est-elle devenue ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’un « mauvais » état ? Pourquoi, comment restaure-t-on ? Et jusqu’où ? Jusqu’au retour à l’original, si tant est qu’on puisse le connaître ?

 

J’étais dans le présent, je n’avais pas la préoccupation de l’avenir, j’étais dans une spirale positive, d’autant plus qu’une deuxième petite merveille était arrivée à la maison.

 

 

Le directeur des études de l’IFROA, Gilbert Delcroix, avait l’intelligence de Saint Augustin : il considérait les étudiants comme des adultes, nous laissait libres de nous cultiver dans les domaines qui nous étaient peu familiers, de pallier nos lacunes par nous-mêmes.

 

« …Pour l’étude, une libre curiosité est plus efficace qu’une contrainte redoutée… »

Saint Augustin (Confessions. I.23)

 

Nous étions effectivement adultes : l’âge moyen des élèves de ma promotion était d’environ 25 ans, j’en avais presque 30. J’étais vieux, « raisonnable ». G. Delcroix permettait de ne pas suivre des cours dans lesquels nous nous  estimions déjà formés, surtout  lorsque nous pouvions le justifier par des diplômes.

J’avais ainsi été dispensé des cours de chimie ; cette matière ne m’avait jamais vraiment intéressé, ni dégoûté d’ailleurs. Je remplaçai ces cours de niveau débutant par une inscription à Paris VI, en licence de chimie précisément. Cela me servirait toujours, pensais-je naïvement. J’allais en suivre les trois UV en trois ans. Tant qu’à faire de la chimie, autant faire fructifier intelligemment mon petit capital scientifique plutôt que suivre bêtement un nième cours de niveau lycée tel qu’il était naturellement enseigné aux autres étudiants de l’IFROA.

 

Les pratiques de la création

 

Je ne suivis pas non plus à L’IFROA le cours de sculpture sur pierre, j’en avais assez fait durant ces dernières années ! A la place je suivis pour mon plus grand bonheur le cours d’aquarelle/lavis.

Merci Saint Augustin, merci Gilbert Delcroix !

 

C’était Luis Ansa qui nous donnait ce cours. Peintre argentin, maitre laqueur à la chinoise, mais aussi aquarelliste et quelque peu ésotériste, il nous enseignait la rapidité du geste et la force que donne l’assurance qu’on finit par posséder au bout d’un long temps d’apprentissage… C’était un curieux mélange que ce personnage, réunissant le côté hâbleur sud-américain et la finesse chinoise. C’est avec lui que je me suis le plus enhardi. J’aime désormais pratiquer de temps en temps cette technique, soit en copiant des lavis ou aquarelles de maître, soit pour des petites créations personnelles sans aucune ambition.

 

 

Le cours de dessin d’après le modèle vivant était nul. C’est plutôt le professeur qui était nul : il passait entre les élèves, quand il passait, et ne disait pas grand-chose d’intéressant, quand il parlait. C’était à chacun de profiter de la séance, des possibilités offertes par l’organisation du cours et la présence du modèle. J’aimais surtout les poses très courtes, où il faut comprendre et reproduire l’essentiel en quelques minutes.

 

Le professeur de modelage n’était guère plus capable, alors que la séance était utile. P. Grivet avait travaillé dans l’atelier de Paul Belmondo, sculpteur mortel et surtout connu comme père de son fils. P. Grivet faisait celui qui voyait tout, alors qu’il ne voyait pas grand-chose. Il avait voulu un jour que je corrige un détail, pour dire quelque chose. J’ai alors fait comme si, mais me suis bien gardé bien de toucher à quoique ce soit. A la séance suivante, regardant mon modelage il me dit : « Ah c’est beaucoup mieux comme ça ! », alors que je n’avais rien touché. Technique imparable face à ceux dont on sait qu’ils « voient » mal.

 

Le professeur de sculpture sur bois était d’une sensibilité bien plus riche. Maurice Barbier ne parlait pas beaucoup, et quand il parlait c’était d’une toute petite voix, inaudible. Mais il se démenait et nous donnait de bons conseils, autant techniques qu’artistiques. Pour ma part j’exécutai d’abord quelques petits reliefs dans différentes essences pour me faire la main avec les outils de sculpture sur bois. Quelle différence avec la pierre, le marbre !

 

Il me proposa ensuite de faire une interprétation d’une tête de cheval Han en ronde-bosse, dont il m’avait confié un moulage, relief en réduction. Le bois était de l’iroko, bois exotique dur et abrasif, au fil tors de plus. Ce fut un travail très formateur et gratifiant.

 

J’avais aussi fait la copie en chêne d’un petit relief de retable brabançon ayant conservé suffisamment de polychromie (conservé au musée de Cluny), représentant vraisemblablement un donateur. C’était en vue de polychromer  ma copie suivant les techniques anciennes qu’on avait apprises au début de notre formation, dans la mesure où les éléments de couleur sur l’original étaient suffisants (cet original était en cours de restauration dans l’atelier). Je n’ai jamais eu le courage (ni le temps) de le réaliser. Si un(e) étudiant(e) ou toute autre personne intéressée  lit ces lignes et que ce travail passionnerait, qu’il (elle) me contacte !

Je comparais (et compare encore) ces deux travaux, le premier étant pour moi bien plus réussi, intéressant et beau à la fois, alors que le relief ancien n’avait d’intéressant à mes yeux que son côté historique, bien plus qu’esthétique, témoin d’appartenance à un grand retable presque entièrement perdu.

C’est ainsi que se précisa pour moi la notion de valeur, chaque objet pouvant en posséder une ou plusieurs à la fois : valeur esthétique, valeur historique, valeur d’usage, valeur cultuelle, valeur sentimentale…

 

Le professeur de pierre dure et d’ivoire, Claude Durand, était lui aussi excellent enseignant. La découverte de cette technique particulière qu’est la glyptique me fascina : travaillant sur des matériaux durs (pierres semi-précieuses) et de petite taille, il est bien plus pratique techniquement de rendre fixe l’outil (fraise entrainée par un petit moteur) par un bâti fixé sur la table et de tenir dans ses doigts le petit objet à façonner, dans la mesure où la forme était obtenue uniquement par abrasion.

Claude Durand était classé statutairement comme artisan d’art, mais c’était un véritable artiste, créateur de formes uniques dans des matériaux semi-précieux, à la manière des Netsukes japonais. Combien d’artistes créent des formes répétitives, sans recherche particulière, combien d’artisans d’art font preuve de réelle créativité, en faisant se rejoindre beauté de la matière et celle de la forme ! Cela indépendamment du sens de cette forme, s’il faut lui en donner un.

 

 

La restauration

 

Plus proches de notre future activité de restaurateurs furent dispensés d’excellents cours de moulage, de géologie, de méthodes analytiques, de photographie, d’histoire de l’art comme je l’ai décrit dans le texte précédent… Le concours nous demandait d’être pluridisciplinaire, le programme des cours l’était encore plus. Par contre nous n’avons pas eu de cours d’histoire de la restauration, contrairement aux étudiants en restauration de tableaux, qui avaient pour cela la très savante et non moins sexy S. Rivon. La qualité de son enseignement et ses aspects vestimentaires tels que la taille de sa minijupe du jour étaient toujours largement commentés, dépassaient le cadre restreint de l’atelier de peinture et arrivaient jusqu’à nous.

 

 

Puis le temps vint où nous pûmes enfin débuter l’apprentissage de la restauration. C’était un peu ridicule, mais j’étais impatient de savoir réaliser un coton-tige avec un bâtonnet de brochette et du coton ménager. Car le non-initié ne peut le deviner : le coton-tige est le principal outil du restaurateur !

 

Je dois avouer paradoxalement qu’à côté  de toutes les découvertes techniques et artistiques que j’ai brièvement décrites j’étais moins passionné par les  cours de restauration, du moins leur partie pratique. L’historique d’une œuvre, la déontologie vis-à-vis du patrimoine, les problèmes méthodologiques, les débats avant les décisions, tout cela m’intéressait. Je n’aimais par contre que peu l’exécution, sauf celle permettant d’améliorer la présentation pour le regardant (ajustement et unité du niveau de nettoyage, harmonisation de couleur par comblement des lacunes, retouche finale globale…).  

Quant aux techniques d’analyse qui nous permettent de sonder au mieux la matière des œuvres, elles ne m’intéressaient que comme outils, sans passion, alors que j’aurais pu être attiré grâce à ma formation scientifique de base. Les coupes minces de couches successives de polychromie (et de feuille d’or) ont cependant leur beauté propre, et fascinent, car elles rentrent dans l’intimité des œuvres et de leur histoire. Ici, superposition de bleu azurite et de bleu outremer (lapis-lazuli) du tympan de la façade ouest de la cathédrale de Senlis.

 

 

Myriam Serck, professeur de polychromie et restauratrice belge dont la notoriété européenne était déjà établie, était âgée de seulement quelques années de plus que nous. Elle nous fit un cours exceptionnel sur la mise en couleurs de surface, à la fois historique et technique, toutes époques et tous matériaux confondus.  Son cours était aussi et surtout un enseignement vis-à-vis de la méthodologie à respecter.

C’était elle aussi qui supervisait les cours pratiques de restauration de sculptures en bois, comme la restauration de petits reliefs polychromes de la grande époque des retables brabançons (XVème et XVIème siècles), mais aussi le dégagement interminable de couches de polychromie superposées d’un Christ en bois du XVIème. Très mutilé et assez pourri, il fit souffrir tant d’élèves !

M. Serck avait le goût de l’abnégation pour elle et pour les autres, et trouvait admirable qu’un étudiant puisse faire le même geste répétitif au scalpel sous loupe pendant une année entière pour découvrir une polychromie originale. Je lui étais assez indifférent, car elle pensait que cet aspect de mise en couleur ne m’intéressait pas. Je n’étais pas assez à l’aise, n’ayant que peu d’expérience dans le monde de la couleur, voilà tout.

Cet ensemble que possédait M. Serck, fait de connaissances théoriques, techniques et méthodologiques faisaient d’elle le véritable professeur de restauration d’œuvres sculptées, alors qu’elle ne traitait que de la surface. Nous lui devons tous énormément, malgré son caractère épouvantable et ses jugements à l’emporte-pièce.

 

Myriam Marronnière était amie avec Myriam Serck, et avait eu pour cela le poste d’enseignement de la restauration des sculptures en matériaux minéraux. Bonne restauratrice, très sensible, elle n’avait pas  cependant la culture suffisante pour assurer un tel enseignement, d’autant plus que dans ce domaine de la pierre, de la terre cuite, du plâtre, les connaissances et protocoles étaient bien moins avancés à l’époque que pour les sculptures en bois polychromées.

 

 

Une grande fête

 

Une association d’élèves et d’anciens élèves (AEAEIFROA) avait vu le jour durant ma première année, et donc pendant la dernière année de la première promotion. Son premier président n’était pas en meilleurs termes avec quelques élèves influents et ne resta pas plus qu’une année. Etant assez présent lors des réunions et assemblées, je me retrouvai à ce poste de président, surtout pour assurer une continuité à l’association. Je ne me dévouai qu’un an, n’étant finalement pas fait pour ça moi non plus. J’avais réussi à la fin de mon mandat à vanter les mérites de la fonction et le peu de travail que cela demandait à un camarade qui pouvait prendre la suite. Je fus très soulagé qu’il acceptât.

 

Outre la gestion de l’association une grosse affaire m’occupa pendant cette année de présidence : la responsabilité d’une grande fête où seraient conviés étudiants, professeurs mais aussi toute personne gravitant autour de cette nouvelle école. C’était en fait à l’initiative d’un camarade de promotion, Didier Groux, dont le dynamisme fut pour beaucoup dans la réussite de ce projet. .  

 

 

 

Notre directeur, également directeur du Mobilier National, Jean Coural, nous encouragea vivement. Il nous offrit grâce à son réseau la possibilité d’occuper gratuitement la grande salle de bal du château de Maisons-Laffitte, ainsi que d’assurer toute la « grosse » logistique de cet événement. Il nous prêta pour l’occasion plusieurs dizaines de chaises en bois doré et velours rouge et autre matériel, qui furent livrées et reprises gracieusement par le personnel du Mobilier National…

Ce fut un très joyeux moment, même si je ne me sentais pas très à l’aise dans ce rôle de représentant de l’association et responsable de l'événement. Beaucoup de monde était venu, amis, professeurs, et bien sûr la très savante, bonne danseuse et toujours aussi sexy S. Rivon, qui s’en donna à cœur joie.

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25 mars 2018 7 25 /03 /mars /2018 12:30

1969   Une bêtise au lycée militaire de Saint-Cyr

 

J’avais du cirage noir dans les poches, j’avais à peine 17 ans, l’âge des bêtises et des provocations. C’était aussi l’âge de Saint Augustin lors de son fameux vol de poires. Il est difficile de l’imaginer grand ado, mais pourquoi pas.... 

Il est minuit au lycée militaire de Saint-Cyr. Mon dortoir se trouve dans le même ensemble de bâtiments que celui que mon père fréquenta comme élève officier dans les années 1930. Non loin de Versailles, cette super-caserne fut construite fin XVIIème siècle pour accueillir les jeunes filles de famille noble dans le besoin, les fameuses « demoiselles de Saint-Cyr ».

 

Il y a longtemps que le sous-officier chargé de notre surveillance a demandé l’extinction des feux, a vérifié que les lumières étaient éteintes dans le dortoir, et qu’il est lui-même parti se coucher.

Nous sommes quelques-uns à ne pas nous être endormis, tout excités de l’aventure que nous avons concoctée pour la nuit. Rhabillés de notre tenue de semaine, nous enfilons nos rangers, mettons les boites de cirage dans nos poches et empruntons silencieusement le couloir qui mène à l’escalier.

Aucun bruit, nous pouvons continuer.

Nous sommes pensionnaires depuis bientôt deux ans dans ces grands bâtiments, en connaissons les dédales par cœur. Il nous est facile d’en sortir pour traverser les grandes cours, vides et silencieuses.

Nous avions beaucoup de cirage noir en réserve, car, selon certains esprits ironiques, la force des armées tient dans l’entretien des chaussures. Ce n’était pas faux lors de l’épopée napoléonienne, par exemple.

D’ailleurs, le « sous-officier chargé de notre surveillance » ne vérifie-t-il pas tous les matins la qualité de la brillance de nos chaussures, lors du rassemblement à l’extérieur où nous sommes placés dans un alignement plus ou moins correct? Cela avant d’aller prendre notre petit-déjeuner à l’autre bout du lycée, pour regagner ensuite nos salles de classes (je suis en Terminale).

 

Nous voilà enfin dans le parc. La nuit est assez claire.  A notre droite le stade, au loin devant nous la piscine, et puis légèrement à notre gauche un monument commémoratif. Nous ne savons rien de ce monument, de ce qu’il commémore, ce n’est pas notre souci. Ce que nous voulons, c’est faire une farce, une farce de potache bien déluré, à la Saint Augustin (que je ne connaissais évidemment pas encore).

Sur ce monument de dimensions moyennes en pierre calcaire claire se trouve une figure principale, celle de la sculpture grandeur nature d’un jeune officier français debout. Il est visiblement l’auteur d’un acte héroïque. A ses côtés, légèrement en arrière et l’entourant en contrebas, le fusil à la main et prêts à le défendre, quelques tirailleurs sénégalais sont sculptés en demi-relief.

Nous n’avons rien à faire de la signification du monument, de son esthétique, du pourquoi de sa présence. La seule chose qui nous préoccupe, c’est la couleur blanche des visages des africains. Nous vérifions encore une fois que personne n’arrive, que tout est calme dans le parc, et hop ! nous sortons nos chiffons, nos boîtes de cirage et enduisons le visage des tirailleurs sénégalais. Nous ne restons pas trop longtemps car nous savons que nous risquons gros. Nous ne savons pas combien, mais gros.

Le lendemain matin, au rassemblement dans la cour, tout se passe comme d’habitude, il fait un peu frais et nous sommes plusieurs à sortir d’une seule et haute voix notre blague habituelle et inoffensive : « On a chaud, Colas ! ». Colas, c’était ainsi que s’appelait le sous-officier chargé de notre surveillance  (le pauvre), plutôt brave malgré tout, cela arrive même chez les sous-offs’.

 

Après notre forfait nous attendions impatiemment une réaction de la direction de l’établissement, tenue par des officiers n’ayant pas nécessairement le sens de l’humour. A midi, rien. Le soir, rien. Le lendemain, rien. A croire que personne ne jetait jamais les yeux sur le monument, au bout du parc il est vrai. Nous n’osions pas nous en approcher pour  voir s’il avait été nettoyé (je dirais maintenant « restauré ») de peur de nous faire remarquer et qu’on nous identifie.

 

 

Les jours passaient, le baccalauréat s’approchait, nous oubliions petit à petit cette aventure nocturne. Il est certain qu’un jour la direction s’aperçut de la nouvelle bichromie du monument, et le fit nettoyer. Cela d’autant plus qu’il se trouve très exposé lors de la traditionnelle cérémonie du « 2S », tous les deux décembre. Le jeune officier mort au combat au Maroc et représenté héroïquement sur le monument, Pol Lapeyre, était devenu le parrain de la « Corniche », qui rassemble les élèves des classes préparatoires aux grandes écoles militaires.

 

J’avais en commun avec Saint Augustin le fait que j’avais le même âge que lui au moment de son fameux vol de poires, à quelques mois près. Deuxième et dernière similitude avec le grand homme, j’étais dans le même état d’esprit que celui qu’il avait ressenti pendant son forfait, qu’il décrit dans Les Confessions. Ce qu’il avoue, ce n’était pas tant la perturbation intérieure créée par le fait de voler des fruits, mais la jouissance qu’il avait eue à commettre cet acte, le plaisir de la transgression qu’il avait ressenti, sans aucune culpabilité. C’était aussi mon cas.

Ce fut ma première intervention sur une sculpture, pas tout-à-fait dans le bon sens, sans aucun doute. Evènement mineur ressorti de ma mémoire à l’occasion de la rédaction de ce blog, je ne pense pas qu’il faille lui accorder plus d’importance que cela, comme par exemple en faire un élément déterminant quant au choix de mon futur métier, la restauration de sculptures. Mais les mettre en rapport est assez amusant.

Contrairement à Saint Augustin pour qui la jouissance du vol de poires était devenue une faute grave une fois venu le temps de l’introspection, je n’ai jamais trop culpabilisé, même si je reconnais que la farce n’était pas du meilleur goût. Bien des années plus tard je m’octroie toujours des circonstances atténuantes, vu mon état d'adolescent farceur, mais aussi imbécile et ignorant.

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22 mars 2018 4 22 /03 /mars /2018 19:31

1981 (fin) Luxe et enthousiasme aux Gobelins La restauration d’œuvres d’art, une passion, une religion ?

 

 

J’allais avoir chaud pendant 4 hivers, en atelier ou salle de cours ! Je n’avais pas passé le concours de l’IFROA pour cette raison, mais cette perspective ne me déplaisait pas après avoir trop souvent travaillé dehors et par tous les temps pendant plusieurs années.

Un autre aspect non déplaisant que je découvris était celui de vivre désormais dans un milieu équilibré hommes/femmes, bien plus agréable à fréquenter que le milieu exclusivement masculin et parfois un peu lourd dont je faisais partie jusque-là. Cet aspect des choses fut exacerbé par la présence occasionnelle comme enseignante de S. Rivon*, conservateur très sexy et non moins savante, spécialisée en restauration de tableaux, dont de nombreuses générations de restaurateurs (surtout les hommes) allaient se souvenir pour longtemps avec émotion. 

 

 

Au-delà de ces deux aspects plutôt anecdotiques, le contribuable allait donc me payer à nouveau des études, pour quatre ans et  à temps plein. J’avais été  auparavant élève-ingénieur, tailleur de pierre, puis sculpteur comme tant d’autres. Je faisais désormais partie de l’élite, en raison de la réussite à ce concours. J’étais devenu un enfant gâté, choyé par la République. Non seulement ma formation ne me coûtait rien, mais j’avais pu obtenir comme d’autres élèves une bourse du ministère du Travail à peu près équivalente au SMIC. A ma sortie, je n’avais aucune obligation de travailler pour l’Etat, contrairement aux concours de la fonction publique.

A sa création en 1978 et bizarrement sous la forme statutaire d’une association loi 1901, L’Institut Français de Restauration des Œuvres d’Art (IFROA) s’était installé dans des locaux de la manufacture des Gobelins, à Paris dans le XIIIème arrondissement. Je faisais partie de la quatrième promotion, la première promotion entamait donc sa dernière année.

 

 

La volonté des créateurs de cette formation était surtout de rattraper le retard de la France vis-à-vis de la plupart des autres pays européens. Il s’agissait aussi de se distinguer d’une filière universitaire de restauration des biens culturels existant déjà à Paris I. L’organisation était plutôt celle d’une grande école avec un enseignement tout préparé, mis à part le mémoire de recherche et la restauration à réaliser durant la dernière année. Des moyens financiers publics avaient été débloqués en conséquence, par le biais de subventions versées à cette institution se voulant très publique tout en ayant un statut associatif.

 

 

Le premier jour de la « rentrée », notre directeur des études Gilbert Delcroix (voir « Stupéfaction et tapis rouge ») nous fit visiter les locaux, c’est-à-dire l’ensemble des ateliers des différentes spécialités disséminés dans l’enceinte des Gobelins. Je lui demandai en fin de visite quel pouvait bien être le budget de formation d’un restaurateur. Il me répondit que c’était à peu près celui d’un polytechnicien, surtout en raison de la rémunération du corps professoral, environ deux fois plus nombreux que les élèves. Nous allions de plus avoir comme enseignants ce que l’IFROA avait pu faire venir de meilleur, éventuellement de l’étranger. Nous avions en effet un tel retard par rapport à nos voisins européens !  Trop peu de restaurateurs français étaient capables d’assurer un tel enseignement qui soit à la fois technique, scientifique et surtout méthodologique.

 

 

C’était une perspective magnifique pour moi. Les yeux écarquillés je découvrais un autre monde. Je n’avais pas vraiment cherché avant ma réussite au concours à savoir ce que j’allais recevoir comme enseignement. J’étais à mille lieues de me douter qu’il serait aussi vaste et varié.   

 

Pour les enseignements autres que celui de la restauration, ceux liés à une culture générale de  haut niveau utile pour notre domaine, nous étions également privilégiés : soit des professeurs « généralistes » comme des universitaires pour les sciences : chimie, biologie…, soit des professeurs très spécialisés comme en histoire de l’art. Quel luxe pour nous, les cinq élèves en restauration de sculpture, que d’avoir comme professeur Alain Pasquier alors conservateur en chef du département des Antiquités Grecques et Romaines au Louvre ! Le cours avait lieu la matinée du mardi, lors de la fermeture au public, dans les salles et devant les œuvres les plus prestigieuses comme les plus modestes. Son enseignement n’était pas seulement un cours d’histoire de l’art (un peu comme à l’Ecole du Louvre), mais traitait aussi de  l’origine des œuvres, de leur histoire matérielle, des problématiques de leur présentation, à travers un échange et une suite de questions-réponses de notre part. Cela permettait aussi de rendre étroit le contact entre le responsable de collections et ceux qui allaient devoir en assurer leur devenir matériel.

Tout était à l’avenant, et le serait pendant les quatre années d’études.

Outre ces privilèges dont nous bénéficions, nous avions aussi la chance à travers les enseignements généraux de vivre notre formation en contact étroit avec d’autres disciplines : peinture de chevalet, céramique, arts graphiques, mobilier. D’autres viendraient par la suite : peinture murale, photographie, métal, textile… Cette proximité était d’une incroyable richesse, tant humaine que technique. Nous allions souvent traîner dans les autres ateliers, à observer les œuvres en cours de restauration, à échanger sur les problématiques.

Beaucoup d’amitiés ou de collaborations allaient ainsi se créer dans l’avenir.

Les étudiants venaient de milieux assez divers et de premières études bien différentes : assez souvent d’écoles d’art ou d’arts appliqués, un peu d’histoire de l’art ou de l’Ecole du Louvre, plus rarement encore de filières scientifiques comme moi. Cette diversité accentuait la richesse des échanges.

 

L’un des premiers cours que je suivis à  l’IFROA fut celui de la dorure.

Ce cours faisait partie de ceux concernant les techniques traditionnelles, celles pratiquées encore actuellement et transmises dans les meilleurs ateliers d’artisans d’art.

Je n’avais jamais encore vécu de façon sérieuse le travail préparatoire à une surface peinte ou dorée. Maintenant, je voyais directement que le résultat final dépendait du soin de chaque opération intermédiaire. Peu importe le temps passé, l’étape suivante ne peut être entamée que si celle en cours est aboutie. Je l’avais déjà vécu avec les phases de dégrossissage, façonnage et finition des sculptures en pierre et encore plus en marbre, mais je rentrais dans un autre monde, celui de surfaces à la fois superposées et sans épaisseur visible qui forment un tout indissociable,  doté d’une matière et d’une couleur qui lui est propre.

L’apprentissage de ces techniques traditionnelles n’était que le prélude à celui des techniques anciennes, celles qu’on ne pratique plus car elles n’ont plus lieu d’être, comme celles de la polychromie des sculptures médiévales ou des œuvres des peintres dits primitifs.

On peut toujours tenter de s’approcher de la réalité technique passée, à travers les textes anciens (dont le célèbre Libro dell’arte de C. Cennini), l’observation des œuvres, les résultats d’analyse et d’observations scientifiques, des essais de copie en pratiquant une sorte d’archéologie expérimentale. Mais il ne faut pas se leurrer : il est bien impossible de reproduire exactement les techniques du passé. Les comprendre est déjà un bel objectif.

Complétant le cours de dorure « contemporaine », nous avions eu un cours de techniques anciennes de dorure dont le but était la réalisation de plusieurs plaquettes démontrant la variété des matériaux et de techniques suivant leur époque, leur localisation, leur destination…  Je découvrais ainsi très vite la grande relativité des progrès techniques dans le domaine de la production artistique, faite sans cesse de pertes et de gains.  Notre professeur était une restauratrice très spécialisée (N. Delsaux), seule capable de faire un tel enseignement car grande connaisseuse des icônes anciennes, bien plus qu’un doreur de métier, même très compétent (et adorable) comme l’avait été notre professeur Mr Delaunay.

 

Quel contraste avec mon ancienne activité de tailleur de pierre puis de sculpteur ! Je travaillais alors le même matériau du début à la fin, devant le maîtriser par la force musculaire et la solidité de l’outil adapté, l’adresse du geste. C’était encore le cas pour le polissage des pierres marbrières ou des marbres, matériaux durs, où la finition de surface était  poussée à l’extrême. J’étais devenu assez adroit, mais ce qui était nouveau pour moi avec ces techniques anciennes mais aussi de restauration, c’était l’obligation de l’acquisition d’une  certaine habileté dans le domaine de la délicatesse, presque de l’impalpable.

Le sourire entendu de notre cher professeur de dorure nous ramenait cependant à la réalité : ce n’est pas en quelques dizaines d’heures qu’on devient professionnel d’un métier, mais au bout de longues années. Pour le cas précis de la dorure notre objectif n’était pas de devenir doreur de métier, mais d’en connaître le plus de caractéristiques possibles.  

 

 

Les autres cours du programme étaient très variés, et s’étofferaient d’ailleurs au fil des ans : pour toutes les sections nous avions dessin d’après le modèle vivant, histoire générale de l’art, chimie, apprentissage de la photographie, et puis copie de tableau (pour les peintres) modelage d’après un plâtre (pour les sculpteurs) …

 

J’étais impatient de commencer à apprendre et pratiquer la restauration, mais nous devions attendre la deuxième année pour avoir le droit de toucher une œuvre dégradée, de la traiter. La méthode d’enseignement l’imposait en effet, dans la mesure où on ne peut commencer à agir matériellement sur une œuvre sans en connaître un minimum les composants, autant du point de vue des techniques de sa création que de ses matériaux, de ses caractéristiques, de son état.

 

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J’étais sur des rails, je ne savais pas trop où ils me mèneraient personnellement.

L’IFROA était-il une simple transition ou un engagement à long terme dans cette activité ?

Je me doutais que j’aurais à m’occuper d’œuvres d’art ancien en général et de sculptures en particulier, mais dans quelles conditions d’activité ? Aucun élève n’était encore sorti. L’Etat ne dépensait pas  autant en énergie et en moyens pour ne pas offrir par la suite des perspectives de travail ! Mais à long terme c’était l’inconnu. Dans quelle case statutaire allais-je me trouver ? En profession libérale, comme artisan, ou même artiste ? J’avais déjà vécu des aberrations statutaires. Ou alors comme fonctionnaire dans un musée ? Nous étions fin 1981, au début du premier septennat de F. Mitterrand, alors que les titularisations et créations d’emploi de fonctionnaires allaient bon train.

Le médecin, le maçon, l’enseignant savent à peu près ce qui les attend pour le début de leur activité professionnelle. Nous ne savions rien de cela en rentrant à l’IFROA.

 

Du point de vue du sens même de l’activité de restaurateur d’œuvres d’art, les choses étaient également complexes. J’avais appris que, si une écaille de polychromie originale était tombée d’une sculpture, il convenait de la ramasser, pour la refixer exactement là où elle se trouvait auparavant, comme on pouvait récupérer en fonction d'une liturgie précise les miettes d’hostie consacrée sur le linge de l’autel (corporal**) .  J’étais bien sûr d’accord avec l’idée de conserver au maximum la matière originale d’œuvres du passé qui nous avaient été transmises, mais cela devait-il être fait à tout prix, sans discernement ?

 

Je commençais à peine à comprendre que j’étais entré sans le savoir en religion, celle de la conservation du patrimoine.

Le rôle du Grand Prêtre, celui ayant le pouvoir et organisant la liturgie, est réservé naturellement au conservateur, intellectuel et décisionnaire, étant donnée la responsabilité qu’il a envers les collections. Le nouveau restaurateur, celui sorti de l’IFROA, serait une sorte de clerc manuel très privilégié ayant la permission, le devoir même de pouvoir s’approcher du sacré, suivant une stricte morale, presque dogmatique. Lui seul pourrait toucher ce sacré, le transformer si nécessaire, mais toujours sous le regard bienveillant ou méfiant du Grand Prêtre, c’est selon.

J’avais entendu une fois un des fondateurs de l’IFROA, célèbre conservateur, dire dans un colloque que le restaurateur devait être « docile et obéissant ». Cette formulation ne me plaisait pas du tout, mais était très révélatrice.

 

 * Jusqu’à présent, les quelques personnes rencontrées dont je parle dans ces souvenirs ont été nommées par leur vrai nom. Je pense qu’il est désormais préférable d’utiliser parfois un nom d’emprunt pour certaines d’entre elles quand  j’évoquerai de leur part une attitude ou un comportement particulier, ou quand elles auront montré des aspects négatifs ou du moins peu humains.

Les connaisseurs du milieu pourront les reconnaitre sans difficulté. Il n’y a de toute façon pas de place dans ce blog aux règlements de comptes personnels.

 

** Le corporal est un grand carré de tissu blanc, amidonné, disposé sur la nappe d’autel. C’est sur le corporal que sont placés calices, ciboires et patène lors de la messe. Il est plié de telle manière qu’il protège, en se fermant, les miettes d’hostie consacrée, tombées lors de la rupture de la grande hostie par le prêtre.

 

***A propos du caractère sacré des miettes d’hostie on peut lire aussi un témoignage très instructif sur le site

http://www.cite-catholique.org/viewtopic.php?t=19483

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